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Parole scientifique

Publié le 15 novembre 2022 Mis à jour le 15 décembre 2022

L’année 2022 a amené de nombreux chercheurs à s’exprimer sur l’actualité et à décrypter les enjeux de société dans les médias. Une prise de parole qui, si elle n’est pas neuve, se fait de plus en plus entendre. Réaction de Marius Gilbert.

Est-ce le rôle d’un chercheur, de s’exprimer publiquement sur l’actualité?

Marius Gilbert : La première mission d’un chercheur est de mener des recherches et de faire avancer l’état des connaissances. Aujourd’hui, en plus, les chercheurs sont souvent invités à participer à la réflexion sur l’actualité, voire sur des enjeux de société. Cette prise de parole peut prendre différentes formes, plus ou moins structurées :  des chercheurs intègrent des groupes d’experts ; d’autres répondent à des interviews dans des médias traditionnels ; d’autres s’expriment sur les réseaux sociaux, etc. Cette communication scientifique grand public n’est pas une obligation – certains domaines de recherche s’y prêtent d’ailleurs difficilement – mais ça fait sens pour de plus en plus de chercheurs et pour l’Université qui le soutient par exemple, avec des initiatives telles que le webzine Prisme, les Prix de la diffusion scientifique ULB ou encore cette rétrospective 12 mois, 12 expert·es.

Quelle est la spécificité de cette parole scientifique?

Marius Gilbert : La plus-value d’un chercheur qui a travaillé pendant des années sur un sujet est un accès privilégié aux savoirs reconnus par les pairs, et la capacité à mettre en perspective de nouvelles observations avec ces savoirs ; c’est aussi ce qui fond une légitimité forte sur ces questions : il explique, il aide à comprendre, ce qui doit permettre à chacun  de fonder son opinion pour agir en conséquence. Mais, il faut être attentif à  l’argument d’autorité :  il y a parfois la tentation chez certains experts d’utiliser leur expertise pour s’exonérer de l’obligation d’étayer leur propos, de dire « je suis spécialiste de…, je sais, écoutez-moi ! ». Or, la responsabilité du scientifique est de prendre soin de montrer comment ce qu’il affirme s’appuie sur des articles, des données, des références… 

Doit-il toujours rester dans son champ d’expertise?

Marius Gilbert : C’est en tout cas là que sa parole est la plus forte et la plus légitime. Mais cela ne veut pas dire qu’il doive toujours y rester. C’est une question délicate car certains s’autocensurent sur certaines questions en considérant qu’ils n’ont pas une expertise pointue, alors que leur niveau de connaissance leur permettrait d’apporter des éclairages extrêmement utiles. A l’inverse, d’autres se prononcent sur tous les sujets, parfois de manière très péremptoire et en s’éloignant complètement de la démarche scientifique. Entre ces deux extrêmes, il y a une série d’opportunités où des scientifiques s’autorisent et assument de sortir de leur strict champ disciplinaire pour appliquer la démarche scientifique à d’autres questions qui touchent à la société, mais ils le font avec des balises méthodologiques très claires. A chacun, à commencer par les médias, à être critique et à distinguer une parole d’expert scientifique - qui partage un état des connaissances scientifiques à un moment donné - d’une opinion plus personnelle - que l’on peut partager ou pas, comme citoyen -. Les deux sont légitimes et saines en démocratie.

Nathalie Gobbe