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La polarisation affective en Belgique et en Europe

Publié le 4 octobre 2022 Mis à jour le 11 octobre 2022

La polarisation affective désigne la tendance, pour les électeurs proches d’un parti politique, à abhorrer les partisans des autres partis. Plus qu’une simple opposition d’idées politiques, il s’agit d’une désaffection profonde ayant des ramifications dans différents domaines de la vie politique et sociale. Emilie Van Haute et Luca Bettarelli ont publié trois analyses sur la polarisation affective.

Des niveaux de polarisation affective très variables entre régions, et en hausse en Europe

Une analyse des niveaux de polarisation affective des électeurs de 190 régions au sein de 30 pays européens entre 1996 et 2019 met en évidence trois tendances. D’une part, les niveaux de polarisation affective varient davantage d’une région à l’autre au sein d’un même pays qu’entre pays. D’autre part, certains pays sont caractérisés par des niveaux relativement homogènes de polarisation affective entre régions, alors que d’autres présentent des scores très hétérogènes entre régions. Ainsi, l’Italie, le Royaume-Uni ou l’Espagne présentent des scores très hétérogènes entre régions. Enfin, les niveaux de polarisation affective au sein des pays européens ont augmenté dans le temps. Cependant, si l’on analyse les évolutions plus finement au niveau régional, on constate que cette hausse est guidée par des changements au sein de certaines régions seulement, le niveau de polarisation affective restant stable dans les autres régions. Ces résultats pointent vers la nécessité d’analyser la polarisation affective de manière désagrégée par région plutôt qu’au niveau national. 
 

La polarisation affective ancrée dans les inégalités socio-économiques

Pour mieux comprendre ce qui se cache derrière ces variations régionales, une analyse a été menée sur le cas de la Belgique aux élections de 2019. Elle se focalise sur le rôle des inégalités socio-économiques comme facteur explicatif des variations de polarisation affective entre régions. Elle révèle trois dynamiques à l’œuvre. D’une part, le clivage rural-urbain creuse les écarts entre régions. D’autre part, les régions dont les performances économiques sont en déclin sur les 20 dernières années présentent des niveaux de polarisation plus élevés que les autres régions. Cela pointe vers un sentiment de déprivation relative par rapport à ce qu’une région a pu être par le passé, ou le sentiment d’être laissé pour compte, qui tend à augmenter les niveaux de polarisation au sein des régions. Enfin, la proximité géographique joue et renforce les effets de la déprivation relative : les citoyens résidant dans les régions à performance économique en déclin, mais proches d’une région plus prospère, présentent des niveaux de polarisation plus élevés. 
 

Une polarisation affective qui mine l’acceptation du compromis politique

Cette polarisation affective en croissance n’est pas sans danger. Il est à ce titre intéressant de relier le niveau de polarisation affective des électeurs à leurs préférences en termes de coalitions gouvernementales, sur base de l’enquête électorale RepResent menée en Belgique autour des élections de 2019. Les résultats soulignent que les électeurs avec un niveau de polarisation affective plus élevé sont moins enclins à soutenir l’idée de gouvernements de coalition en général, et ce peu importe le type de coalition en termes de nombre et nature des partis impliqués, et même si le parti préféré des électeurs en fait partie. 

Ces constats appellent à une réflexion sur les racines de la polarisation affective et les manières de la contrer. En particulier, si l’on souhaite limiter cette polarisation, il importe de développer des politiques menant à la réduction des inégalités socio-économiques entre régions. 

Luca Bettarelli est chercheur postdoctorant MSCA IF@ULB à l’Université libre de Bruxelles (ULB) et chercheur au Centre d’étude de la vie politique (Cevipol). Ses recherches portent sur la polarisation et les dynamiques socio-économiques régionales. 

Emilie van Haute est Professeure de science politique à l’Université libre de Bruxelles (ULB) et chercheuse au Centre d’étude de la vie politique (Cevipol). Ses recherches portent sur les partis politiques, les élections et la démocratie.

Publications de référence en accès libre:
  • Bettarelli L., van Haute E. (2022), “Regional inequalities as drivers of affective polarization”, Regional Studies, Regional Science 9(1), 549-570.
  • Bettarelli L., Reiljan A., van Haute E. (2022), “A regional perspective to the study of affective polarization”, European Journal of Political Research.
  • Bettarelli L., van Haute E. (2022), “Affective polarization and coalition preferences in times of pandemic”, Frontiers in political science.