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Lentement mais sûrement, on gagne la course : l’histoire du lièvre à mobilité structurelle et de la tortue SAP
Pendant des décennies, la dynamique des liquides visquex a été décrite en considérant uniquement que les molécules avaient besoin de coopérer pour se déplacer autour de leur position. Le mouvement des molécules n'est possible que grâce à une sorte d'action collaborative, connu sous le nom de mobilité structurelle. Le laboratoire EST (Experimental Soft Matter and Thermal Physics) a démontré que les molécules connaissent également une autre façon de se déplacer. L'équipe dirigée par le professeur Napolitano a identifié un nouveau processus moléculaire, appelé SAP (slow Arrhenius process). A haute température, le SAP est plus lent que la mobilité structurelle, mais lorsque le liquide devient si visqueux qu'il se comporte presque comme un solide, le nouveau mécanisme prend le dessus sur l'ancien. La lenteur et la régularité gagnent la course !
Un système est à l'équilibre lorsque ses propriétés ne changent pas avec le temps. L'expérience nous apprend qu'une telle observation est cependant rarement rencontrée dans la nature. La transformation des bourgeons en fleurs puis en fruits, les réarrangements des plaques à la surface des planètes, et même le corps humain tout entier au cours de sa vie ne sont que quelques exemples, parmi tant d'autres, de systèmes loin de l'équilibre. Avec le temps, ces systèmes luttent pour atteindre l'équilibre, c'est-à-dire qu'ils se réarrangent et s'adaptent à l'environnement pour parvenir à réduire leur énergie interne.
Depuis près d'un siècle, nous savons que les phénomènes macroscopiques d'équilibre (par exemple, une corde élastique qui s'allonge lorsqu'on la tire, ou un glaçon qui fond lorsqu'on le sort du congélateur) nécessitent un mouvement microscopique des molécules. En augmentant la température, les molécules se déplacent plus rapidement, et l'équilibre est atteint en un temps plus court. Ce principe fondamental reflète la beauté de la physique et a de puissantes implications.
En observant comment un matériau réagit à l'application de petites forces, nous pouvons suivre le processus d'équilibrage et, par conséquent, comprendre les trajectoires des molécules, quelle que soit la vitesse de déplacement des molécules et la petitesse des distances qu'elles parcourent.
Grâce à ces méthodes expérimentales, il a été possible d'observer que les molécules des liquides ont besoin de coopérer pour se déplacer autour de leur position. Le mouvement des molécules n'est possible que grâce à une sorte d'action collaborative. Plus la température se refroidit, plus le liquide devient dense et visqueux, et plus les molécules doivent coordonner leurs mouvements pour s'équilibrer.
Ce phénomène est similaire à ce qui se passe lorsque nous conduisons. Si la route est vide (température élevée), nous pouvons nous déplacer aussi vite que nous le souhaitons, mais dans un embouteillage (température basse), nous restons bloqués jusqu'à ce que les voitures qui nous entourent se concertent et nous laissent de la place. Pendant des décennies, la dynamique des liquides a été décrite en considérant uniquement ce type de mouvement, connu sous le nom de mobilité structurelle.
Aujourd'hui, dans la revue Science Advances, le laboratoire EST (Experimental Soft Matter and Thermal Physics) de l'Université libre de Bruxelles a démontré que les molécules connaissent également une autre façon de se déplacer. L'équipe dirigée par le professeur Napolitano a identifié un nouveau processus moléculaire, appelé SAP (slow Arrhenius process). A haute température, le SAP est plus lent que la mobilité structurelle et présente les caractéristiques d'un "processus d'Arrhenius", c'est-à-dire que ses réarrangements ne sont pas affectés par la densité.
Le travail expérimental de l'équipe de l'ULB répond à plusieurs questions sans réponse sur la dynamique des liquides. Les laboratoires du monde entier avaient déjà observé que les liquides peuvent s'équilibrer d'une manière efficace qui ne peut être attribuée au processus structurel ; l'équipe de l'ULB a vérifié que les molécules de différents types de matériaux choisissent le SAP pour réduire leur énergie interne. Il est important de noter que le parcours du SAP est possible à n'importe quelle température : alors que le processus structurel devient de plus en plus lent lors du refroidissement, à basse température, lorsque le liquide devient si visqueux qu'il se comporte presque comme un solide, le nouveau mécanisme prend le dessus sur l'ancien. La lenteur et la régularité gagnent la course ! Grâce à ses propriétés uniques, le SAP peut faciliter l'équilibrage des matériaux en un temps raisonnable (jours, mois), à des températures où le processus structurel nécessiterait des temps géologiques (infinis).
On peut se représenter le SAP comme une équipe de cyclistes livrant de la nourriture : ils sont peut-être plus lents que les voitures aux heures normales, mais en cas d'embouteillage, vous pouvez compter sur eux pour apporter un repas chaud sur votre table.
La compréhension de la nature du SAP a de fortes implications. Dans la conception de nouveaux matériaux et de leurs protocoles de fabrication, un meilleur contrôle des propriétés est obtenu en identifiant les conditions favorisant les mécanismes qui ne dépendent pas d'un changement dans la structure, comme c'est le cas pour le SAP. De plus, comme la plupart des matériaux amorphes bruts et transformés sont stockés à basse température, la durée de conservation de ces systèmes est significativement affectée par l'équilibrage par la nouvelle voie découverte par l'équipe de l'ULB.