Dans la même rubrique
-
Partager cette page
Rotifère : le mystère d’un scandale évolutif résolu
Deux publications scientifiques majeures bouleversent la compréhension du scandale évolutif que représente la reproduction des rotifères bdelloïdes. Des organismes asexués capables de résister à des conditions extrêmes.
Les rotifères bdelloïdes constituent un mystère pour les biologistes. Depuis les années 1950, on pense que la reproduction de ces animaux microscopiques est asexuée, se passant ainsi du processus de méiose, mécanisme de division cellulaire qui aboutit à la production de gamètes (cellules sexuelles), et du brassage génétique qui en découle. Or, jusqu’à présent, deux processus semblaient universels pour la reproduction chez la majorité des eucaryotes: la méiose et la fertilisation, faisant partie de la reproduction sexuée.
Aujourd’hui deux études issues des recherches menées par l’équipe de Karine Van Doninck en collaboration avec l’équipe de Bernard Hallet de UCLouvain bouleversent cette théorie. Cette recherche, ayant démarré à UNamur, et depuis 2020 se poursuivant à l’ULB au sein de l’unité de recherche en biologie moléculaire et évolution dans le cadre de son projet ERC-Consolidator, met en évidence qu'un processus méiotique modifié est essentiel pour la reproduction des rotifères.
Pour ce faire, les scientifiques ont étudié la dynamique des chromosomes lors de la période d’ovulation des rotifères. Cela leur a permis d’observer qu’il y avait bien une méiose, cependant, les chromosomes retournaient dans la même cellule après s’être mis par paire, au lieu de se séparer.
Ceci expliquerait d’une part pourquoi leurs gamètes ne sont pas réduites, contrairement à celles de l’homme par exemple, et d’autre part l’homogénéité singulière du patrimoine génétique des rotifères bdelloides.
Les chercheurs ont également observé qu’après avoir subi des radiations ionisantes de très haut niveau, bien que ses chromosomes soient pulvérisés, le rotifère est capable de les reconstruire rapidement. Sauf, au niveau de l’ovule. En effet, l’étude montre que l’animal attend une maturation de l’ovule pour pouvoir en reconstruire les chromosomes grâce au mécanisme d’appariement propre à la méiose, ce qui permet une réparation plus fiable. Cette capacité exceptionnelle de survivre à de hautes doses de radiations ionisantes est la conséquence d’une adaptation à la dessiccation complète. En effet, ces femelles microscopiques, vivant dans des mousses et lichens, sont capables à n’importe quel stade de leur vie de se dessécher et d’attendre la présence de l’eau pour continuer leur cycle de vie et la reproduction.
La seconde étude a réussi à séquencer tout l’ADN d’une espèce de rotifères bdelloïdes et à reconstruire la séquence complète de chacun de ses 12 chromosomes, bout à bout. Ainsi, les chercheurs ont pu voir que les chromosomes sont organisés par paire, permettant une méiose, et que 8 à 9 % des gènes de l’animal proviennent d’autres organismes. Ils agissent donc comme les bactéries en effectuant un transfert horizontal de matériel génétique et non uniquement vertical comme les autres animaux. Cette découverte expliquerait la diversité de leur patrimoine génétique alors que les rotifères semblaient être des clones parfaits, surtout si ces animaux peuvent également échanger du matériel génétique entre eux.
La prochaine étape de l’équipe du Professeur Van Doninck et ses collaborateurs consistera à comprendre si la diversité génétique des rotifères est uniquement liée à ces transferts horizontaux ou si d’autres mécanismes sont également impliqués. Par ailleurs, ils s’acharnent à identifier les acteurs moléculaires impliqués dans leur extrême résistance, en essayant d’implémenter l'outil d'édition génomique crispr-cas9 sur cet animal microscopique, qui n’est pas encore un modèle de laboratoire tel que la levure ou le ver Caenorhabditis elegans.