Dans la même rubrique
Son dessin hérissé est devenu familier ces derniers mois, mais que sait-on aujourd’hui du SARS-CoV-2? Pourquoi le virus mute-t-il peu? Comment survit-il dans notre environnement? Comment se propage-t-il? Explications avec Anne Op de Beeck, virologue en Faculté de Médecine, ULB.
Décrivez-nous brièvement le virus SARS-CoV-2.
Anne Op de Beeck : Le SARS-CoV-2 fait partie de la famille des coronavirus; on leur a donné ce nom parce qu’ils ont, lorsqu’on les regarde au microscope électronique, comme une couronne autour d’eux, c’est en fait une enveloppe hérissée de protéines. Les coronavirus sont des virus à ARN avec un très grand génome (quelque 30.000 nucléotides). C’est particulier pour les virus à ARN qui mutent fréquemment (comme le virus de la grippe). On sait que plus le génome est grand, plus le risque d’erreurs est important lors de la réplication, ce qui devrait entraver sa stabilité génétique et donc sa survie.Pourquoi alors cette stabilité? Des chercheurs ont découvert que le SARS-CoV-2 possède une enzyme qui corrige les erreurs. Et c’est cette même enzyme qui permet au SARS-CoV-2 de rejeter certains traitements antiviraux! Il y a toutefois une bonne nouvelle: des laboratoires testent actuellement des essais cliniques avec des molécules capables d’inhiber la réplication du virus malgré cette enzyme correctrice d’erreur.
A ce jour, on connait sept coronavirus capables d’infecter l’homme : quatre bénins qui causent nos petits rhumes et trois virus respiratoires bien plus méchants. : le SARS apparu il y a 17 ans en Chine, le MERS qui a sévi au Moyen-Orient et en Asie en 2012 et en 2015 et enfin, le SARS-CoV-2.
SARS-CoV-2 ressemble donc à SARS-CoV-1 et à MERS-CoV?
Anne Op de Beeck : Oui avec la particularité qu’il se transmet beaucoup plus efficacement d’homme à homme, ce qui lui a permis de générer la pandémie que nous connaissons aujourd’hui. Le SARS-CoV2 est heureusement par contre beaucoup moins mortel que le SARS-CoV1 (9,6%) et le MERS (34,7%).Comment le SARS-CoV-2 survit-il dans notre environnement?
Anne Op de Beeck : Comme tout virus, le SARS-CoV-2 a besoin d’un hôte pour se multiplier: il va infecter une cellule - en l’occurrence une personne - et s’y développer. Infectée, cette personne va secréter du virus dans sa salive; et le propager lorsqu’elle tousse, éternue ou simplement postillonne. C’est pourquoi, on insiste sur la distance et le port du masque pour se protéger et protéger les autres. Dans l’environnement, le virus peut survivre plusieurs heures, voire plusieurs jours, ça dépend notamment de la surface sur laquelle il s’est déposé. Dans le cas du SARS-CoV-2, des chercheurs ont calculé qu’il reste infectieux jusqu’à 60 heures sur de l’acier inoxydable ou du plastique. Toutefois, il s’affaiblit: il perd 90% de sa virulence après 24 heures sur ces surfaces. A cause de son enveloppe, le SARS-CoV-2 est un virus assez fragile; le savon, l’alcool permettent de le détruire. D’où la consigne de se laver régulièrement les mains.
Vous participez à un projet de recherche qui vise à éliminer le SARS-CoV-2 de certaines surfaces. Pourtant, ici, il n’est pas question de gel hydroalcoolique ou de savon.
Anne Op de Beeck : En effet, ce qui fonctionne pour nos mains n’est pas possible pour tous les équipements ou toutes les surfaces. Alors, à l’initiative de notre collègue chimiste François Reniers - laboratoire Chemistry of Surfaces, Interfaces and Nanomaterials (ChemSIN), Faculté des Sciences -, ma collègue Carine Van Lint - unité de recherche en Virologie moléculaire, Faculté des Sciences - et moi travaillons à une autre solution : créer des surfaces virucides, donc qui détruisent rapidement le virus lorsqu’il s’y dépose. Nous travaillons à générer ces surfaces en utilisant des plasma froids, c’est-à-dire des gaz partiellement ionisés hautement réactifs qui génèrent des radicaux oxydants et des rayonnements ultraviolets. Nos premiers tests sur de telles surfaces sont prometteurs. Et si l’efficacité de notre « film virucide » est démontrée, nous pourrons tester en laboratoire sécurisé, sur le SARS-CoV-2. L’enjeu est de taille: si nous étions capables de rendre virucides nos boutons d’ascenseurs, clenches de porte ou poignées de métro, par exemple, nous pourrions diminuer le risque de transmission indirecte des virus et mieux contrer des épidémies telles que celle-ci mais aussi d’autres, plus habituelles: gastro-entérite, grippe saisonnière, etc.
Vous évoquiez la transmission du virus par microgouttelettes de salive. Mais qu’en est-il d’une transmission par aérosols?
Anne Op de Beeck : On ne connait pas encore aujourd’hui avec certitude le rôle de ces aérosols, c’est-à-dire des gouttelettes très petites (< 5 micromètre) qui flottent dans l’air, dans la transmission. On sait qu’on peut détecter la présence du virus sur des aérosols en très faible concentration et qu’après une heure, la moitié du virus présent dans les aérosols n’est plus infectieuse, et ceci d’heure en heure. On peut donc en déduire qu’il faudrait inhaler ces aérosols pendant un certain temps pour atteindre une dose infectieuse. C’est pour cela qu’on conseille d’aérer les bâtiments, d’ouvrir les fenêtres, d’éviter d’utiliser la climatisation, de se rencontrer à l’extérieur. En résumé donc, il y a sans doute un risque de transmission mais plus réduit que par gouttelettes (contact direct) et non encore mesuré; les recherches se poursuivent.
Vous participez d’ailleurs à une de ces nombreuses recherches sur les aérosols.
Anne Op de Beeck : En effet, je collabore avec le Dr Anne Botteaux, chargée de cours et chercheuse au Laboratoire de Bactériologie moléculaire (ULB) et le docteur Pierre Smeesters, pédiatre à l’HUDERF afin de mesurer le risque de transmission du virus en milieu hospitalier. Plus précisément, ils mesurent la quantité de virus présent dans les aérosols générés dans la chambre de patients COVID-19 et lors des manipulations d’aide à la respiration (ventilation et intubation) ; ils comparent les résultats entre patients adultes et enfants… Les relevés sont en cours.Le virus n’a pas encore dévoilé tous ses secrets ?
Anne Op de Beeck : Non, loin de là. Mais ce qui est encourageant, c’est la forte mobilisation des chercheurs qui, quel que soit leur domaine de compétence, se sont réorientés vers le SARS-CoV-2 ; et les nombreux résultats déjà sortis. Même si on ne sait pas encore tout, on progresse rapidement !- L'analyse d'Eric Muraille, chercheur FNRS en Faculté de Médecine ULB
-
Le SARS-CoV-2 s'adapte pour survivre
Les scientifiques disposent aujourd’hui de plusieurs dizaines de milliers de séquences complètes du génome du SARS-CoV-2 ! Jamais une telle banque de données n’avait été constituée lors d’une épidémie. A titre de comparaison, lors de la pandémie de grippe H1N1 de 2009, nous ne disposions que d’une dizaine de séquences partielles ! Les séquences du SARS-CoV-2 diffèrent légèrement les unes des autres : comme tout système biologique, le SARS-CoV-2 mute, s’adapte pour survivre. Et cette diversité génétique, on la retrouve au sein-même des hôtes. Des chercheurs français ont par exemple identifié 233 variants viraux chez un seul et même patient !
Spike, la clef et Nsp12, le correcteur
Chercheur FNRS en Faculté de Médecine à l’ULB, Eric Muraille s’est intéressé aux mutations associées à deux protéines du SARS-CoV-2 : Spike, la clef qui permet au virus de pénétrer dans nos cellules, et Nsp12, qui participe à la réplication du virus et corrige en partie les erreurs de réplication qui sont sources de mutation. La comparaison des séquences disponibles montre que Spike et Nsp12 présentent un taux de mutation très élevé ; or, elles sont les principales cibles des traitements thérapeutiques et des stratégies vaccinales. « Spike est la cible des thérapies par anticorps et des vaccins en cours de développement tandis que Nsp12 est celle des candidats antiviraux, donc si ces protéines mutent fréquemment, il y a un risque potentiel de résistance du virus à ces traitements et d’échappement aux vaccins, même si on sait que beaucoup de mutations sont sans effet fonctionnel » souligne Eric Muraille, « Deux autres questions se posent également: les variations génétiques rendent-elles le virus plus transmissible, c’est-à-dire capable de passer d’un individu à l’autre ? Et/ou plus dangereux, donc plus susceptible d’être associé à des formes sévères ? ».
« Une mutation de Spike en position 614 est apparue sur tous les continents et est devenue dominante » poursuit le chercheur, « Cette mutation est associée à une capacité accrue d’infecter les cellules humaines in vitro et à une charge virale plus élevée chez les patients ; en revanche, il n’y a pas encore de consensus scientifique sur les conséquences pour les patients de cette charge virale plus importante. Est-elle associée à une pathologie plus sévère et à une transmission plus grande ? On l’ignore encore avec certitude. On a toutefois démontré que cette mutation ne permet pas au virus d’échapper aux anticorps neutralisants, c’est une bonne nouvelle. La protéine Nsp12 présente aussi une forme mutée, en position 314, qui est également devenue dominante dans le monde ; elle a été associée à un taux de mutation du virus plus élevé, et donc potentiellement à une plus grande vitesse d’adaptation de celui-ci. On ignore son impact sur l’efficacité des antiviraux ».Faut-il s’inquiéter de ces variations génétiques?
A ce stade, Eric Muraille se veut rassurant. « La sévérité du Covid-19 semble principalement liée au patient (à son âge, son ethnie, aux éventuels comorbidités, etc.) et non aux variations génétiques du virus ; il n’y a pas aujourd’hui un virus plus agressif ou plus dangereux. En revanche, il est probable qu’il devienne plus infectieux. C’est du moins ce qu’on a observé avec d’autres épidémies et il semble vraisemblable que la pandémie actuelle suive le même chemin ».
Nathalie Gobbe