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L'Ukraine & nous: 3 vécus, 3 témoignages
Trois membres de la communauté universitaire nous ont livré leur témoignage : David Alvarez, coordinateur Help Ukraine de l'ULB, Yuliia Mykhailovska, chercheuse au sein de la Faculté de Médecine, et Nathalie Massager, professeure de Droit.
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David Alvarez
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Coordinateur Help Ukraine de l’ULB
David a été engagé au début du conflit. Originaire du Chili, habitué du bénévolat social, il s’intéressait aux thématiques des frontières et des migrations par conviction personnelle et professionnelle.
Il séjournait en Pologne lorsque la guerre a éclaté et a donc très vite été témoin de l’impact du conflit lorsqu’il fut engagé pour le poste de coordinateur Help Ukraine. Son rôle ici est triple : l’accueil, l’information et la coordination logement. David accompagne également les personnes dans leurs démarches administratives.
David remarque qu’il enregistre davantage de demandes d’accueil d’étudiants en ce moment (fin juin) car la rentrée académique approche et ils désirent soit reprendre des études, soit continuer leur cursus. En ce qui concerne les chercheurs, qui sont principalement des chercheuses, la situation est plus compliquée. Il faut dire que c’est plus difficile de quitter l’Ukraine car cela reste un départ plein d’incertitudes professionnelles. Ils ou elles préfèrent souvent rester dans les pays limitrophes en attendant que la guerre évolue positivement ou que leur situation change au point qu’un départ devient alors inévitable.
La fonction de coordinateur implique aussi l’organisation de l’hébergement et la communication auprès des hébergeurs, qui font tous partie de la communauté ULB. Le but est de trouver la meilleure compatibilité possible entre accueillants et réfugiés car les circonstances sont déjà très difficiles pour ces derniers. David est évidemment contraint par le temps et les circonstances de la guerre qui demandent de parer au plus pressé. Une fois les personnes bien arrivées sur le sol belge, l’objectif est de donner des moments d’accueil et d’information pour offrir un cadre général et un accompagnement dans les démarches administratives par exemple.
Cette campagne Help Ukraine qui n’était pas forcément inscrite dans la durée est en train de changer de visage. Les 6 prochains mois se profilent de façon plutôt pessimiste. David réalise qu’avec le conflit qui s’enlise, les demandes d’accueil vont augmenter, car il sera pour nombre d’ukrainiens, impossible de rentrer chez eux... -
Yuliia Mykhailovska
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Chercheuse ukrainienne au Laboratoire de physiologie et pharmacologie du professeur Nicolas Baeyens (Faculté de Médecine)
Yuliia Mykhailovska est originaire de Kiev et possède un background scientifique unique : elle est titulaire d’un double Master, le premier en biophysique (Université nationale de Kiev) et le deuxième en génétique et biologie moléculaire des plantes (Université de Hambourg).
En 2020, son double profil scientifique avait déjà intéressé le Laboratoire de physiologie et pharmacologie du professeur Nicolas Baeyens, qui cherchait à recruter pour son projet de spin-off « Fibroscreen ». Après l’avoir rencontrée, le Pr Nicolas Baeyens s’était aperçu qu’une thèse de doctorat était plus appropriée au vu de son profil. Faute de financement, il n’avait pu la recruter mais était resté en contact en attendant de pouvoir trouver un financement adéquat. La crise Covid compliqua les choses et Yuliia quitta l’Allemagne pour rentrer en Ukraine où elle se mit à travailler tout en continuant de chercher un poste de doctorante en Europe. Et puis la guerre est arrivée, ne lui laissant d’autre choix que de quitter Kiev. Tout s’enchaina ensuite assez rapidement : le laboratoire de physiologie ayant réussi, grâce à la Fondation ULB, à sécuriser le financement de deux années de thèse, on lui proposa d’intégrer l’ULB après acceptation de son dossier.
Spécialisée en traduction des protéines, Yuliia Mykhailovska est au cœur du travail du Pr Nicolas Baeyens sur les fibroses. Elle travaille sur les mécanismes fondamentaux qui contrôlent l’aiguillage entre une cicatrice saine et une lésion fibrotique. Notre organisme répare quasi en permanence nos tissus, un processus qui est sous le contrôle de cellules spécialisées, les fibroblastes, qui sont les gardiens de la matrice extra-cellulaire, qui entoure toutes nos cellules. On estime que plus de 45% de tous les décès sont liés à la présence de lésions fi brotiques qui altèrent la fonction des organes de façon irrémédiable. Ce faisant, Yuliia aura la possibilité de trouver des solutions pour contrer ce problème majeur de santé publique. Yuliia suivit alors le même diffi cile chemin que nombre d’ukrainiens, en train, via la Pologne et l’Allemagne pour arriver, enfi n, à Bruxelles. Aujourd’hui, même si cela reste émotionnellement compliqué, Yuliia se sent soulagée car sa famille est relativement à l’abri, son père et son frère sont en Pologne tandis que sa mère et sa grand-mère restées à Kiev, essaient de poursuivre une vie plus ou moins normale. Elle confie que ses nouvelles collègues du laboratoire, très ouvertes et amicales, l’ont beaucoup soutenue dans son installation et sa nouvelle vie à Bruxelles. Devenues maintenant des amies, elles l’ont à la fois aidée et accompagnée et cela a créé un lien fort entre elles.
Quand on l’interroge sur son futur, elle est à la fois enthousiaste et soucieuse : heureuse d’entreprendre ce doctorat et ses recherches tout en se formant et en poussant son projet aussi loin que possible ; mais troublée quant aux perspectives incertaines de l’avenir, malgré l’envie et le besoin de revenir aider à reconstruire l’Ukraine : « Je me sens responsable de l’avenir de mon pays et je suis fi ère et heureuse que l’Ukraine ait reçu le statut de candidat à l’adhésion de l’Union Européenne. J’espère que cela ouvrira de nouvelles directions, opportunités et perspectives pour le développement scientifique. » -
Nathalie Massager
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Hébergeuse, professeure de Droit, accueille Alona depuis mi-avril
« Étant enseignante à l’ULB, j’ai reçu, début mars, un mail destiné à l’ensemble du personnel de l’ULB concernant la guerre en Ukraine qui venait de commencer : le programme Help Ukraine visait à mobiliser l’ensemble de la communauté universitaire pour mener différentes actions et notamment, proposer d’accueillir des réfugiés qui étaient professeurs, chercheurs ou étudiants ukrainiens. Nous avions déjà parlé en famille de l’idée de proposer un hébergement aux réfugiés fuyant la guerre et ce mail a été l’occasion de conjuguer cette envie avec un projet d’accueil qui faisait sens au regard de notre structure familiale : nous avons 3 grands enfants âgés de 18, 21 et 23 ans, tous actuellement en cours de cursus à l’Université, ce qui nous permettrait d’offrir un cadre de vie adapté au rythme et aux besoins d’un étudiant. La décision a été prise après plusieurs soirées où nous en avons parlé, tous ensemble, en mesurant bien l’engagement que cela impliquerait pour tous les membres de la famille.
À peu près 3 semaines après avoir rempli le formulaire de proposition d’hébergement en ligne, j’ai été contactée par un appel téléphonique du coordinateur du projet Help Ukraine, David Alvarez, qui m’a demandé si j’étais toujours prête à accueillir un étudiant : ayant confirmé mon engagement, j’ai reçu un mail avec les nom et prénom de l’étudiante qui devait arriver en Belgique dans les jours suivants. J’ai immédiatement pris contact avec Alona et nous avons échangé quelques mails concernant son arrivée en Belgique. Le 17 avril, j’ai été chercher Alona à la gare où elle arrivait avec sa mère qui l’avait accompagnée avant de rentrer à Prague où elle s’était réfugiée avec le reste de sa famille, le père d’Alona demeurant en Ukraine, à Kharkiv.
La rencontre avec Alona a été un moment chargé en émotion : âgée de 17 ans à peine, Alona devait quitter sa maman, dans les pires circonstances que l’on peut imaginer, sans savoir quand elle la reverrait. Après un échange en anglais, la maman d’Alona est repartie rejoindre les siens à Prague et nous avons aidé Alona à s’installer au mieux parmi nous. Immédiatement, Alona et mes enfants ont trouvé le moyen de communiquer en anglais et en français, avec les programmes de traduction de leurs smartphones. Alona nous a raconté et montré les images qu’elle avait prises dans le métro où ils s’étaient réfugiés lors des premiers bombardements, puis le voyage et l’arrivée en Pologne de nuit au milieu d’une foule immense d’autres familles ukrainiennes fuyant la guerre. Dès le début, nous avons établi un contact particulièrement ouvert, confiant et chaleureux.
Alona s’est installée dans l’une des chambres de la maison et partage au quotidien notre vie de famille. Dès lors qu’elle était encore mineure, nous l’avons aidée à réaliser les démarches du parcours d’accueil (Heysel, commune, CPAS, mutuelle, inscription à l’université, service social, ouverture d’un compte bancaire, abonnement mobilité etc.). Cet été, Alona doit encore obtenir l’équivalence de son diplôme qu’elle a réussi à acheminer de Kharkiv alors que son université est bien sûr totalement fermée et à le faire traduire, puis elle devra obtenir une bourse pour commencer sa première année à l’ULB dès le mois de septembre.
Alona pourra naturellement rester parmi nous aussi longtemps qu’elle le voudra. Nous espérons avoir pu lui apporter un lieu où elle a pu se poser et se ressourcer après le drame qui s’est imposé à elle et l’a obligée à quitter, en un instant, tout ce qui était sa vie : son père resté en Ukraine, sa mère, ses frère et sœur et autres membres de la famille réfugiés à Prague dans des circonstances effroyables, mais aussi tous ses amis, son université où elle était en première année (en Ukraine, il y a 5 années de secondaire et les étudiants arrivent donc une année plus tôt à l’université), sa maison, sa ville, son chat et tout ce qu’elle connaissait depuis toujours. Son courage incroyable et sa détermination à poursuivre ses études en Belgique nous offrent, chaque jour, la plus belle preuve du meilleur que nous avons en nous. »
Séverine Vaissaud