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Cesar Diaz: un cinéma entre douleur et résilience, introspection et dialogue

Un parcours qui l’amène du documentaire à la fiction, pour mieux parler… de la réalité : Cesar Diaz – issu de la filière de cinéma ELICIT de l’ULB (ndlr : tout comme sa productrice, Geraldine Sprimont qui y a fait l’Histoire de l’Art et Solvay… ) — a récemment obtenu la Caméra d’or 2019 à Cannes pour son premier long métrage de fiction Nuestras Madres. Le film sera aussi présenté aux Oscars… On croise donc tous les doigts !

Esprit libre : Quand et dans quel contexte êtes-vous venu en Belgique et pourquoi avoir d’abord choisi ELICIT (licence en écriture et analyse cinématographiques à l’ULB)… ?

Cesar Diaz : Je suis venu pour étudier, je voulais étudier l’écriture des scénarios parce qu’il me semble que c’est à cet endroit que tout le film se joue, ce qui ne s’écrit pas, ne se tourne pas, ne se monte pas et ne se trouve pas dans un film. En Belgique, à cette époque, c’était le seul endroit où l’on pouvait faire ça. Une partie de ma famille est belge est donc pour moi c’était naturel de venir ici. J’étais assez jeune et petit à petit la Belgique est en quelque sorte ‘rentrée dans ma peau’… jusqu’au moment où je suis devenu moi-même.

EL : Que retenez-vous de vos années à l’ULB en cinéma et qu’avez-vous apprécié dans la formation ?

CD : Je pense que c’est la discipline et la façon de construire les choses que j’ai beaucoup appréciés, la formation m’a « appris à apprendre »… Je ne sais pas si je suis clair mais quand je me souviens de cette époque, ce qui m’a marqué, c’est la capacité à faire le tri et à construire une manière de penser, ou si je devais le dire autrement : on a appris à réfléchir.

J’ai appris que le cinéma est l’art de la patience et que l’on ne fait pas forcément les meilleurs films quand on est jeune, le cinéma demande une certaine maturité face aux sujets et face à soi-même 

EL : Votre film s’inscrit dans une veine réaliste, de « témoignage du réel » à travers la fiction ; il se déroule dans la réalité du pays dont vous êtes originaire, le Guatemala, et renvoie à votre propre histoire… Vous avez travaillé sur des documentaires durant 10 ans comme monteur : est-ce tout cela qui vous a poussé à traiter ce sujet pour un premier long métrage?

CD : J’ai décidé de me lancer dans la fiction car je ne trouvais plus dans le documentaire les outils narratifs pour pouvoir raconter cette histoire. Je voulais avoir un traitement précis et des personnages avec des trajectoires qui construisent le film, donc j’ai décidé d’écrire un film de fiction. Le sujet, je le porte depuis très longtemps, je m’interroge sur les liens filiaux et sur le fait que de mon point de vue, c’est l’amour, le soin, l’héritage qui construisent la paternité. Donc c’est à travers l’histoire de ce massacre que j’ai réussi à partager et dialoguer avec le spectateur sur ces sujets. J’avais la volonté de parler de l’Histoire du Guatemala mais j’étais convaincu que je devais l’incarner dans le parcours d’un personnage de ma génération pour rester honnête et cohérent avec ma démarche.

EL : Les femmes – fortes, malgré les drames – sont à l’honneur dans votre film…

CD : Les femmes sont le support de la société guatémaltèque, les gardiennes de la mémoire, du courage et de la transmission. Le jour où elles ne seront plus là, la société va s’effondrer. Il faut dire que pendant la guerre civile, ce sont elles qui ont le plus souffert, les survivantes qui nous enseignent une leçon de vie et qui nous montrent comment continuer à exister malgré la douleur. Leur recherche de justice est infinie et je voulais leur rendre hommage.

EL : Vous posez la question du travail du deuil, et aussi du regard de chacun sur les tabous et oublis de l’Histoire d’un pays…

CD : Le problème quand quelqu’un disparaît n’est pas la disparition en soi, c’est l’espoir que cette personne laisse, même si rationnellement on peut dire qu’il ou elle ne reviendra jamais, au fond... On garde toujours l’espoir qu’il ou elle reviendra et donc le travail du deuil est impossible. Ce qui me semblait intéressant était d’évoquer comment la science à travers l’anthropologie peut nous dire: « dans cette boîte se trouvent les restes de votre être aimé ». À partir de ce moment, l’on peut commencer à faire le deuil. Le cinéma est là justement pour rompre ces tabous et faire parler ; c’est un outil de dialogue et de réflexion pour la société. J’espère que le film va permettre de créer ces ponts entre les citoyens.

EL : Ce Prix à Cannes, le Prix SACD à la Semaine de la Critique (section parallèle du Festival consacrée aux cinéastes débutants), votre présence aux Oscars bientôt… Qu’est-ce que ça peut changer pour vous en tant que créateur ? Cela ouvre des portes pour financer les suivants et trouver des partenariats ?

CD : C’est un peu tôt pour le dire, je l’espère ! J’ai mis 5 ans à créer ce film, pour le prochain j’espère que cela prendra moins de temps.

EL : Quelle histoire aimeriez-vous nous raconter aujourd’hui ?

CD : J’adapte un roman sur le thème de la justice. Parfois notre contrat social est rompu parce que la justice n’est pas présente, je ne parle pas uniquement du système judiciaire ; la justice est quelque chose de plus large, comme la justice sociale ou l’égalité entre les sexes.

EL : Si vous deviez motiver des jeunes (futurs étudiants) tentés par le cinéma, que leur diriez-vous ?

CD : J’ai appris que le cinéma est l’art de la patience et que l’on ne fait pas forcément les meilleurs films quand on est jeune. Le cinéma demande une certaine maturité face aux sujets et face à soi-même. Donc ce que je leur dirais est : faites beaucoup de choses, faites beaucoup d’erreurs… Et n’ayez pas peur de les faire ! 

Alain Dauchot
Mis à jour le 13 novembre 2019