Le 20 mai 2025, l’Assemblée mondiale de la santé a adopté ce que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a qualifié « d’accord historique » concernant la prévention des pandémies.
Célébrant l’accord comme un triomphe du multilatéralisme et une étape vers la sécurité sanitaire mondiale, le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l’OMS a déclaré :
« Les nations du monde ont écrit l’histoire. »
Les dirigeants mondiaux se sont fait l’écho de ce sentiment.
La revue scientifique de référence Nature a également rejoint le satisfecit, en qualifiant le traité de « triomphe dans un monde déchiré ». La France, qui a coprésidé les négociations, est fière de ce succès.
Un contexte de réduction de l’aide au développement
En France, les responsables ont parlé d’« une victoire majeure pour le multilatéralisme » alors même qu’à l’instar des États-Unis d’Amérique et de l’Union européenne, elle a considérablement réduit son aide au développement dans le secteur de la santé.
La France continue de concentrer son soutien vers des programmes verticaux orientés vers quelques maladies, au détriment d’une approche globale de la santé. Alors que le ton de célébration domine les récits officiels, un examen attentif révèle une image plus complexe.
L’accord sur les pandémies n’est qu’un début
L’idée de cet accord est née à la suite de la pandémie de Covid-19 qui a révélé de profondes fractures dans la gouvernance mondiale de la santé. En décembre 2021, les États membres de l’OMS ont convenu de lancer des négociations en vue d’un nouvel instrument international pour la prévention, la préparation et la réaction aux pandémies (PPPR).
Cela a conduit à la création de l’organe intergouvernemental de négociation. Il s’est réuni 13 fois pendant plus de trois ans. Les deux premières années ont coûté plus de 200 millions de dollars, ce qui soulève des questions quant à l’efficacité et à la transparence de la diplomatie mondiale en matière de santé.
L’accord tire sa légitimité de la déclaration de l’Assemblée générale des Nations unies sur la PPPR (PPPR, pour prévention, préparation et réaction aux pandémies, ndlr) qui a souligné la nécessité d’une réponse internationale coordonnée aux futures menaces pour la santé. Le 20 mai 2025, il a été adopté par consensus (moins 11 abstentions et 60 non-votes) lors de la 78e Assemblée mondiale de la santé. Cependant, ce n’est que le début.
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La mise en œuvre de l’accord repose sur trois prochaines étapes essentielles :
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i) la ratification par au moins 60 États membres, ce qui déterminera sa force juridique ;
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ii) la création d’une Conférence des parties, qui servira d’organe directeur ;
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iii) un accord sur le contenu spécifique de l’article qui concerne l’accès et le partage des avantages pour les produits de santé ; aspect le plus controversé des négociations.
Les implications juridiques et le rôle de l’OMS
L’accord sur les pandémies a été adopté en vertu de l’article 19 de la Constitution de l’OMS, qui prévoit des conventions juridiquement contraignantes. Toutefois, sa relation avec le Règlement sanitaire international (RSI) demeure ambiguë.
Alors que ce règlement continue de régir la notification des épidémies et les réponses à apporter, le nouvel accord étend le mandat de l’OMS à la distribution équitable des produits médicaux dans le monde et aux mécanismes de financement. Mais les détails doivent encore être déterminés par la Conférence des parties.
Cette centralisation de l’autorité risque de transformer la Conférence des parties en un centre technocratique dominé par des acteurs disposant de ressources suffisantes, ce qui mettrait à l’écart des voix moins puissantes, comme cela été le cas lors de la pandémie de Covid-19.
Le texte final limite l’autorité de l’OMS (article 24, paragraphe 2) et réaffirme que la mise en œuvre de l’accord reste de la responsabilité souveraine des États membres.
Des risques de pandémie surestimés, au détriment d’autres priorités
Alors que l’accord est célébré comme une étape diplomatique, il est essentiel de modérer l’enthousiasme par une analyse sobre de ses limites et de ses préoccupations.
Tout d’abord, l’hypothèse centrale de l’accord est que les pandémies constituent une menace « existentielle ». Cependant, la probabilité de pandémies catastrophiques est souvent surestimée et davantage motivée par des incitations politiques que par des preuves scientifiques. Cette inflation du risque peut conduire à des réponses disproportionnées et à une affectation des ressources éloignée des besoins.
Cela pourrait conduire à un détournement coûteux, au détriment de priorités de santé plus pressantes. Ainsi, le coût annuel estimé de la préparation et de la réponse aux pandémies est estimé à 31,1 milliards de dollars, dont 26,4 milliards de dollars attendus des pays à revenu faible et intermédiaire.
De plus, une aide publique au développement de 10,5 milliards de dollars supplémentaires est nécessaire, chaque année.
Il faut également ajouter les 10,5 milliards à 11,5 milliards de dollars requis pour le programme « Une seule santé ». Bien que solide sur le plan conceptuel, son coût est prohibitif et ses priorités mal alignées. Cette approche détourne l’attention et les ressources des besoins de santé publique de base et d’une perspective transdisciplinaire des enjeux de santé.
Enfin, de manière globale, dans un monde où les services de santé de base restent sous-financés, le détournement des ressources vers des menaces futures hypothétiques risque de saper les efforts visant à remédier aux fardeaux des maladies actuelles.
Une insistance excessive sur une approche sécuritaire de la santé
L’accord s’appuie sur un cadre de biosécurité qui met l’accent sur la surveillance, la riposte et la réponse rapide. Le Fonds de la Banque mondiale pour les pandémies ne finance que la surveillance et le diagnostic, tandis que la « mission de 100 jours » ainsi que l’accent quasi exclusif mis par l’accord sur les « produits » représentent un réductionnisme biomédical.
Cette approche néglige les déterminants sociaux de la santé et la nécessité de systèmes de santé résilients.
L’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) et l’OMS ont pourtant plaidé en faveur d’investissements dans la résilience des systèmes de santé.
Des préoccupations en matière d’équité
Malgré des engagements rhétoriques en faveur de l’équité, l’accord risque de répéter les échecs des réponses à la pandémie de Covid-19.
L’accent mis sur l’équité vaccinale a ainsi éclipsé des objectifs plus larges en matière d’équité en santé. L’accord adopte un modèle unique qui ne peut pas refléter la diversité des besoins et des capacités des différents pays, en particulier ceux dont le système de santé est fragile.
Des risques de corruption et de marchandisation ?
La centralisation des efforts du nouvel instrument international pour la PPPR (PPPR, pour prévention, préparation et réaction aux pandémies, ndlr) ainsi que la marchandisation de la préparation aux pandémies (au moyen de stocks, d’outils de surveillance et de technologies propriétaires) créent un terrain fertile pour la corruption, la recherche de rentes et des résultats négatifs en matière de santé.
L’afflux de fonds et le discours sur l’urgence peuvent conduire à des procédures de passation de marchés opaques et à des incitations dangereuses, comme on l’a vu dans certains pays durant la pandémie de Covid-19.
Pour une approche globale centrée sur les déterminants sociaux de la santé
Ce qui est peut-être le plus troublant, c’est la négligence de l’accord à l’égard des principes fondamentaux de santé publique. On met peu l’accent sur les solutions communautaires, le renforcement du système de santé (au-delà de la surveillance) ou les déterminants sociaux et les inégalités en matière de santé. Au lieu de cela, l’accord favorise un modèle technocratique descendant qui risque d’aliéner les populations qu’il vise à protéger.
L’adoption de l’accord de l’OMS sur les pandémies est annoncée comme une réalisation historique. Pourtant, l’histoire ne jugera pas cet accord par la fête autour de sa signature, mais par ses résultats, pour le moins incertains.
Cet accord repose sur des hypothèses contestées, impose des charges financières importantes et risque d’enraciner un modèle technocratique de gouvernance mondiale de la santé obnubilée par les enjeux sécuritaires. Il est très loin des principes fondamentaux de la santé publique : l’équité, l’engagement communautaire et le renforcement du système de santé.
Au tout début de la pandémie de Covid-19, nous avons appelé à un changement de paradigme. Nous avons plaidé en faveur d’une approche globale de la santé, qui s’attaquerait aux déterminants sociaux, afin d’aider les populations à réduire leurs facteurs de risque individuels et ainsi renforcer leur immunité naturelle. L’accord sur les pandémies vise exactement le contraire.
Sans une correction rapide – vers des approches plus inclusives, adaptées aux contextes et axées sur l’équité – cet accord pourrait devenir une nouvelle occasion manquée plutôt qu’une étape dans les progrès à réaliser, pourtant urgents.
Valery Ridde, Directeur de recherche, Institut de recherche pour le développement (IRD); Elisabeth Paul, Chargée de cours, Ecole de santé publique, Université Libre de Bruxelles (ULB), and Garrett Wallace Brown, Chair in Political Theory & Global Health Policy, University of Leeds
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.