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Vacances, tourisme et mobilité: de quoi parlons-nous?
En Belgique, environ 4 personnes sur 10 ne réalisent pas de déplacements touristiques même si elles peuvent être en vacances. Disposer de plusieurs jours de congé successifs ne signifie pas d’office partir faire du tourisme... Dans une interview pour le webzine Prisme, Jean-Michel Decroly pointe la confusion entre les termes vacances, tourisme, mobilité.
Est-ce que «vacances» rime forcément avec «tourisme» ?
Jean-Michel Decroly : Ah non, pas du tout! Il ne faut pas confondre les deux, même si on a souvent tendance à le faire. Étymologiquement, le mot vacances vient du latin vaccare qui signifie «être vide». Les vacances, synonyme de vacuité, désignent un temps suspendu sans fonction à priori. C’est une suspension du cours normal des activités. Tandis qu’un déplacement touristique consiste à partir plus de 24 heures hors de notre lieu de résidence habituel pour des raisons d’agrément, pour visiter des proches ou expérimenter quelque chose d’autre.
Pourriez-vous nous faire un bref résumé de l'histoire des vacances?
Jean-Michel Decroly : À la fin du XIXe siècle, seule une partie des secteurs a obtenu après négociations une période de congé pour les salariés. Au cours de l’entre-deux-guerres, les congés payés sont entrés dans la législation. En Belgique, cela s’est fait à travers la loi de 1936. À cette époque, la majorité des travailleurs qui en bénéficiaient ne les mettaient pas à profit pour se déplacer: ils se consacraient à des activités sociales, festives et culturelles. Ceux qui se déplaçaient se rendaient notamment dans la zone dont ils étaient originaires.
Par crainte que ce nouveau temps libre ne soit consacré à des activités jugées répréhensibles par les pouvoirs publics, ceux-ci ont cherché à «occuper» les classes ouvrières de manière socialement acceptable avec des déplacements touristiques. Et ce, aussi bien dans les régimes totalitaires que dans les régimes démocratiques.
Nous ne sommes pas nés touristes, nous avons fini par le devenir dans le cadre d’un processus progressif d’encadrement du temps des vacances par les pouvoirs publics.
Existe-t-il d’autres manières de passer ses vacances?
Jean-Michel Decroly : Le tourisme est devenu la norme. Dans nos régions, ne pas profiter de son temps de vacances pour voyager est mal vu. Ce qui peut donner aux personnes qui ne voyagent pas l’impression d’être en marge de la société. En Belgique, 4 personnes sur 10 ne font pas de déplacements touristiques pour des raisons financières ou de santé (de soi ou d’un proche). Rares sont celles qui ne partent pas en voyage par choix.On a peu de données sur ce que font les personnes qui ne partent pas faire du tourisme. Mais on a quand même quelques idées… Comme on le dit souvent: le Belge a une brique dans le ventre. Nombreux sont ceux qui soignent leur logement ou leur jardin, à condition d’avoir la chance d’en avoir un. Quel est le temps consacré à des activités récréatives, à lire ou à regarder une série? On ne sait pas.
Quels sont les différents modes de transport que nous privilégions lors de nos déplacements touristiques?
Jean-Michel Decroly : Les données de Stat Bel pour 2019 indiquent que la voiture domine. Ce qui semble logique puisque les Belges se rendent très majoritairement dans des destinations proches. L’avion vient en 2e position. C’est un transport collectif bien plus important que le train ou le bus. Quant au train, il représente une modeste proportion des transports vers l’étranger.
Ces tendances sont-elles identiques en ce qui concerne les jeunes?
Jean-Michel Decroly : Il n’y a pas de différences spectaculaires entre les groupes de populations, hormis quelques particularités, surtout pour les transports.
Au niveau des destinations, les jeunes voyagent plus en-dehors de l’Europe (11 à 12 %) que les adultes. Ils visitent moins la Belgique, la France et les Pays-Bas et privilégient la Grèce, l’Italie ou le Royaume-Uni.
Pour ce qui est de la participation touristique, le taux de départ est un peu plus faible chez les jeunes. Ce qui s’explique par différents facteurs: job étudiant, seconde session, moyens économiques limités.
La crise sanitaire a-t-elle bousculé nos habitudes de voyage?
Jean-Michel Decroly : C’est moins la circulation du virus que les mesures prises et les effets économiques de la crise qui pèsent sur le flux touristique. Je mettrais en avant comme conséquence une diminution du taux de départs touristiques au cours de l’année 2020, ainsi qu’une délocalisation des destinations: le tourisme domestique a fortement cru.
En soi, la saison estivale de 2020 a été plutôt bonne pour les provinces wallonnes. La diminution de touristes venant d’Allemagne, de France et des Pays-Bas dans les zones touristiques des Ardennes a été plus que compensée par la croissance du nombre de touristes belges.
On observe une situation inverse dans les villes. Bruxelles a eu une mauvaise année car Bruxelles dépend beaucoup d’une fréquentation internationale de longue distance.
Aussi, un grand nombre de Belges qui ne pouvaient pas partir à l’étranger ont opté pour des excursions d’un jour à la mer. Cette présence a été le sujet de vives tensions et fut la raison de l’interdiction des excursionnistes par certaines communes du littoral, rappelons-le.
Est-ce que cette réalité a toujours existé ? Cela pourrait-il changer, pour des raisons écologiques par exemple?
Jean-Michel Decroly : Depuis 20 à 30 ans, la part de l’avion ne cesse d’augmenter. Différents facteurs y contribuent comme le développement de l’offre aérienne low cost et la modification des lignes aériennes qui en a résulté. Et bien entendu, voyager en avion est souvent moins coûteux que de prendre le train, voire d’utiliser la voiture.
On se souvient qu’en 2018-2019 un mouvement suédois avait fait du bruit: flygskam. Aujourd’hui encore, ses militants appellent au boycott de l’avion face à l’urgence climatique. Mais ce phénomène reste marginal. La part des personnes qui boycotte l’avion pour des raisons environnementales est faible et se rencontre principalement dans les couches sociales aisées. Ce sont des personnes qui, comme moi, ont eu l’occasion de voyager auparavant. Je suis dans une posture facile. Si j’ai maintenant décidé de ne plus prendre l’avion et de recentrer mes déplacements touristiques, je comprends bien l’appétit qu’ont des jeunes adultes comme vous de voyager loin, en avion.
Est-ce que vous nous décrivez là un ras-le-bol du «tourisme de masse», considéré comme négatif?
Jean-Michel Decroly : Je n’aime pas ce mot «tourisme de masse», car toute forme de tourisme peut être du tourisme de masse. Ces 50 dernières années, l’offre et les pratiques touristiques ont promu un tourisme basé sur des déplacements toujours plus lointains et plus rapides. Les propositions des tours opérateurs sont des circuits où les visites s’enchainent et les personnes reviennent plus fatiguées. C’est du tourisme au pas de charge opposé au temps suspendu des vacances. Ce que j’appelle du tourisme standardisé fondé sur le recours à l’aérien et le déplacement lointain.
Le « slow travel », qu’est-ce que c'est ? En quoi cela est-il innovant ?
Jean-Michel Decroly : Le slow travel est une réponse à cette modalité de pratique touristique. C’est une volonté qui émerge des touristes et des tours opérateurs et qui consiste à aller moins loin, y aller plus lentement et visiter sur place avec des moyens doux. Par exemple, partir en Europe en train pour faire de la randonnée ou du vélotourisme. Prendre le temps de s’imprégner du territoire plutôt que de le traverser rapidement.
Derrière le slow travel se trouve l’idée de faire des déplacements touristiques qui, dans leur conception même, reposent plus sur la lenteur que sur la rapidité.
Incontestablement, pendant la crise Covid, on a vu une augmentation de ces pratiques : à savoir que la plupart des activités touristiques relèvent en réalité d’un slow tourism. On ne fait que transférer notre sédentarité vers une destination de villégiature, où l’on se repose, dans une certaine lenteur.
Kerryan Hermans
L'expert
Géographe de formation, Jean-Michel Decroly enseigne la géographie humaine, la démographie et le tourisme. Il dirige l’unité de recherche Géographie appliquée et géomarketing (GAG) au sein de la Faculté des Sciences. Ses recherches portent sur les manifestations des inégalités sociales dans l’accès aux ressources urbaines (de l’eau au logement), les dynamiques démographiques et les mobilités touristiques.