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Carte blanche du Conseil des rectrices et recteurs et du VLIR du 14 mai 2025
Pour une Union européenne guidée par ses valeurs – en paroles et en actes.
Le 20 mai, le Conseil des Affaires étrangères de l’Union européenne se réunira pour examiner si Israël respecte encore les conditions posées par l’article 2 de son Accord d’association avec l’Union européenne. Cet article n’est pas une clause technique, mais un principe fondamental : le respect des droits humains et des principes démocratiques constitue le socle même de toute coopération avec des pays tiers. Lorsque ce socle est structurellement violé, cela doit avoir des conséquences. À défaut, nos traités européens risquent de se vider de leur sens et de se réduire à des mots creux.
Depuis plusieurs mois, Israël mène une offensive militaire dévastatrice à Gaza. Les images et les chiffres parlent d’eux-mêmes : des dizaines de milliers de victimes civiles, une destruction systématique des infrastructures civiles, des blocages de l’aide humanitaire, et une famine qui ne cesse de s’aggraver. Dans la Cisjordanie occupée, la répression se poursuit sans relâche : démolitions de maisons, arrestations arbitraires, attaques violentes des colons et extension continue des colonies illégales. Ces violations ont été documentées largement et sans équivoque par plusieurs rapports des Nations Unies et d’organisations de défense des droits humains. La Cour internationale de Justice a elle-même statué qu’Israël devait prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger les Palestiniens de la bande de Gaza contre le risque de génocide, notamment en leur assurant l’accès à des services de base et à l’aide humanitaire.
En dépit de cette accumulation accablante de preuves, l’Europe reste silencieuse. Il y a plus de vingt ans, l’article 2 de l’Accord d’association a été instauré pour placer les droits humains, la démocratie et l’État de droit au coeur de la politique étrangère de l’Union. Mais ces valeurs ne conservent leur crédibilité que si elles s’accompagnent d’exigences concrètes envers nos partenaires. Il ne saurait être acceptable que ces principes fondamentaux deviennent optionnels dès lors que le partenaire en question est jugé stratégique ou politiquement sensible.
Cette vérité dérangeante mine notre crédibilité internationale. Et pourtant, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a fait de la défense des droits humains une priorité politique, affirmant qu’elle devait, avec la sécurité, constituer le pivot de la politique étrangère de l’Union. Cette ambition est difficilement conciliable avec le silence actuel.
Nos universités belges sont de plus en plus souvent confrontées à cette contradiction. L’Europe reconnait Israël comme un partenaire à part entière dans le cadre de l’Accord d’association bilatéral. Cela implique notamment que des institutions académiques israéliennes – y compris lorsqu’elles relèvent directement de l’appareil étatique israélien – peuvent participer au programme-cadre européen de recherche et d’innovation Horizon Europe. Or, selon l’article 14 du modèle d’accord d’association, les organisations participantes sont censées agir conformément aux « normes éthiques les plus strictes » et aux valeurs fondamentales de l’Union européenne : respect de la dignité humaine, liberté, démocratie, égalité, État de droit et droits humains. En théorie, ces exigences sont claires. Mais dans la pratique, elles le sont moins.
Face aux atrocités commises dans les territoires palestiniens occupés, les universités belges ont, à plusieurs reprises, demandé à la Commission européenne de mettre en place un cadre de contrôle éthique qui soit transparent et efficace. Ce cadre permettrait d’évaluer à la fois si le contenu des projets de recherche comporte un risque en termes de violation des droits humains, et si les partenaires de projet (actuels ou envisagés) contribuent à de telles violations. À ce jour, la réponse de la Commission se borne pourtant à une interprétation minimaliste de l’article 14 précité : les éventuels
comportements structurellement contraires à l’éthique d’une institution partenaire ne sont pas pris en compte ; seuls les risques liés au contenu du projet lui-même font l’objet d’une évaluation.
Les universités belges se sont considérablement investies dans des processus rigoureux d’examen (« screening ») éthique, mais elles manquent de leviers pour traduire leurs conclusions en actions concrètes. Un retrait unilatéral de certains consortiums ou une exclusion de partenaires israéliens de projets déjà approuvés entrainent une insécurité juridique, une exposition à d’éventuelles demandes de dédommagement, ainsi qu’un risque de préjudice réputationnel. En l’absence d’un cadre européen clair, il est presque impossible de justifier juridiquement des choix moralement responsables.
Face à une situation qui ne cesse de s’aggraver, nous appelons la Commission européenne à franchir un cap et à suspendre l’Accord d’association avec Israël. Cette mesure n’a rien d’excessif — elle est la conséquence logique des engagements que l’Union s’est elle-même fixés. L’article 2 de l’accord énonce clairement que la coopération est essentiellement fondée sur le respect des droits humains. Lorsque cette condition est systématiquement bafouée par le partenaire, , comme c’est aujourd’hui le cas, il ne peut plus être question de statu quo. La suspension de l’accord s’impose alors à la fois comme un impératif politique et comme une décision pleinement justifiée sur le plan juridique.
Nous appelons le gouvernement belge à plaider explicitement, lors du prochain Conseil, en faveur de la suspension de l’Accord d’association. Nous demandons également que la Belgique insiste auprès de la Commission européenne pour qu’elle mette en place un cadre d’évaluation des droits humains qui soit transparent, structurel et indépendant, et qui puisse s’appliquer à tous les partenariats internationaux menés dans Horizon Europe et dans les autres programmes européens. Les universités belges sont prêtes à partager leur expertise et à contribuer de manière constructive à l’élaboration de solutions. Mais mettre en oeuvre un tel cadre exige une volonté politique forte et des choix assumés.
L’Union européenne ne pourra préserver son autorité morale que si elle accepte de prendre ses propres valeurs au sérieux – même lorsque c’est inconfortable. Tenir Israël pour responsable de violations persistantes des droits humains n’est pas une position idéologique, mais une exigence morale et juridique.
Annick Castiaux (UNamur), Jan Danckaert (VUB), Philippe Dubois (UMons), Herwig Leirs (UAntwerpen), Anne-Sophie Nyssen (ULiège), Annemie Schaus (ULB), Luc Sels (KU Leuven), Françoise Smets (UCLouvain), Rik Van de Walle (UGent), Bernard Vanheusden (UHasselt).