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Aude Merlin et Coline Maestracci: analyser à la lumière du terrain

Publié le 4 mai 2023 Mis à jour le 4 mai 2023

Coline Maestracci et Aude Merlin sont chercheuses au Cevipol, Centre d’étude de la vie politique, en Faculté de Philosophie et Sciences sociales. Elles reçoivent le Prix de la diffusion scientifique - catégorie expert·es presse - pour leurs interventions dans le cadre de la guerre en Ukraine.

« Il y a encore quelques mois, beaucoup de gens ne savaient pas où était l’Ukraine sur une carte » rappelle Coline Maestracci. Tout a basculé le 24 février 2022. À compter de cette date, le citoyen a cherché à comprendre, dans un contexte de confusion et de peur, les ressorts de l’invasion de l’Ukraine par Vladimir Poutine. 
Il a souvent fallu rappeler, entre autres, que l’offensive avait en réalité commencé en 2014, avec l’annexion de la Crimée puis la déstabilisation du Donbass. 

« En 2014, quand j’ai commencé à intervenir sur cette question auprès du grand public, j’ai constaté qu’il y avait en Belgique francophone une représentation assez homogénéisante d’un monde russe, une vision qui ne faisait pas la distinction nette entre l’Ukraine et la Russie » commente Aude Merlin. « Or, dès lors qu’on se rend dans ces régions et qu’on échange avec les habitants, on peut renvoyer un miroir aux citoyens d’ici qui revendiquent, comme les Ukrainiens, leurs droits à la liberté, à la citoyenneté: le fait que, tout simplement, les Ukrainiens existent... alors qu’ils étaient très souvent abstractisés ». 

Déplacer le curseur


Rares spécialistes de la région en Belgique francophone, Coline Maestracci et Aude Merlin ont en effet effectué de nombreux séjours de terrain. Elles maîtrisent le russe et comprennent l’ukrainien - Coline Maestracci le pratique même activement -, elles ont des contacts professionnels et amicaux tant en Russie qu’en Ukraine. 

Face aux interprétations géopolitiques souvent prédominantes, elles ont ainsi pu apporter des analyses ancrées dans le vécu de ces sociétés. « C’est une manière de déplacer le curseur pour amener d’autres réflexions et d’autres perspectives » commente Coline Maestracci. « La lecture géopolitique peut conduire à une analyse en termes d’affrontement entre blocs, entre puissances » ajoute Aude Merlin. « Or, si l’on veut vraiment comprendre ce qui se passe, il faut comprendre la logique post-impériale de puissance blessée dans laquelle se trouve la Fédération de Russie ».

Ce travail de remise en perspective est d’autant plus fondamental que celui de désinformation institutionnelle mené par le Kremlin percole dans nos sociétés. « C’est le cas avec la façon dont l’extrême droite ukrainienne a fait l’objet d’un discours amplificateur mais aussi avec les glissements non fondés scientifiquement, qui établissent un lien entre ce qui s’est passé pendant la Seconde Guerre mondiale et ce qui se passerait aujourd’hui » poursuit-elle.

Éclairer et complexifier


Alors que des vies humaines et la sécurité de notre continent sont en jeu, les chercheuses considèrent qu’il est plus que jamais de leur devoir d’intervenir dans le débat public pour faire partager les résultats de leurs travaux. 

« Notre travail est de faire de la pédagogie tout en complexifiant le regard, en allant à l’encontre des analyses à l’emporte-pièce. C’est aussi pour nous une piqûre de rappel: grâce à ces échanges, nous avons accès à la manière dont les personnes perçoivent cette situation sur un plan plus émotionnel, en dehors de l’université » résume Coline Maestracci. Une dimension émotionnelle qui étreint parfois les scientifiques. « Il y a eu des moments d’abattement psychologique, des moments difficiles à gérer, notamment en plateau, face à des personnes qui livraient des analyses géopolitiques surplombantes » raconte Aude Merlin. « Quand on a des amis en Ukraine, en Russie, on peut avoir un sentiment de désarroi par rapport au sens même de ce métier. Heureusement, nous étions deux et nous avons pu nous soutenir » concluent les chercheuses.