1. Actus & Agenda
  2. FR
  3. Actus
  4. Recherche

Augmentation du nombre d’euthanasies en Belgique, que révèle cette statistique ?

Publié le 20 mai 2025 Mis à jour le 27 mai 2025

Une étude publiée dans une revue de référence analyse des données extraites du système national de déclaration de l’euthanasie en Belgique, dans ce pays où l’euthanasie est légale depuis 2002. L’augmentation observée en vingt ans s’explique essentiellement par le vieillissement de la population. Mais les informations manquent pour éclairer le profil socioéconomique des demandeurs et mieux comprendre leurs motivations. Un article de Jacques Wels (Health & Society Research Unit, ULB) et Natasia Hamarat (Faculté de Droit et de Criminologie, Health & Society Research Unit) dans The Conversation.

Jacques Wels,Health & Society Research Unit, ULB and Natasia HamaratCentre de droit public et social et Health & Society Research Unit,  Université Libre de Bruxelles (ULB)

 

Dans le monde, plusieurs législations autorisent des dispositifs d’aides actives à mourir. À l’heure actuelle, l’assistance au suicide est autorisée en Suisse, en Autriche et dans dix États des États-Unis. Dans plusieurs pays, la législation permet à la fois l’euthanasie et l’assistance au suicide : c’est le cas des Pays-Bas, du Luxembourg, de l’Espagne, du Canada, de cinq États australiens ainsi que de la Nouvelle-Zélande.

 

La Belgique fait également partie de ces pays. L’euthanasie y est légale depuis 2002 et encadrée par une loi stricte. Quant à l’assistance au suicide, elle n’est pas expressément prévue par la loi, mais elle est tolérée dans la pratique, à condition que l’ensemble des critères légaux encadrant l’euthanasie soient strictement respectés et que l’acte soit réalisé sous la supervision constante d’un médecin, prêt à intervenir en cas de complication.

Une étude qui analyse vingt ans d’euthanasie en Belgique

En Belgique, au cours des deux dernières décennies, le nombre de cas déclarés d’euthanasie a considérablement augmenté. En 2003, seulement 236 cas avaient été enregistrés. En 2023, ce chiffre est passé à 3 423. Cela signifie que l’euthanasie représente désormais environ 3 % de tous les décès en Belgique. Comment expliquer cette hausse ? Traduit-elle une tendance inquiétante, comme le craignent certains critiques ?

Dans une nouvelle étude publiée dans la revue JAMA Network Open, nous avons analysé l’évolution de tous les cas d’euthanasie déclarés entre 2002 et 2023. Nos conclusions montrent que cette augmentation s’explique par deux facteurs principaux :

  • Premièrement, le temps d’implémentation de la loi, qui correspond au temps nécessaire pour que le public prenne connaissance de la nouvelle loi et que le corps médical s’adapte (c’est-à-dire mettre en place les procédures et protocoles nécessaires).

  • Deuxièmement, les changements démographiques, notamment le vieillissement de la population.

Surtout des sujets de plus de 70 ans, en phase terminale de cancers

Nous avons observé une forte hausse des cas durant les quinze années suivant l’adoption de la loi, suivie d’une stabilisation. Environ un tiers de l’augmentation s’explique par l’évolution démographique, en premier lieu par le vieillissement.

L’euthanasie est en effet plus fréquente chez les septuagénaires et octogénaires, souvent atteints de cancers en phase terminale ou de polypathologies. De facto, le vieillissement de la population et l’augmentation des cas de polypathologies contribuent à l’augmentation de demandes.

Entre 2002 et 2023, les cancers ont ainsi représenté 65 % des motifs d’euthanasie, suivis par les polypathologies (15 %), ensuite par les maladies spécifiques comme celles du système respiratoire ou cardiovasculaire et celles du système nerveux (qui représentaient chacune près de 8 % des motifs). À noter qu’autant d’hommes que de femmes y ont eu recours.

Nous avons noté que des différences régionales persistent : historiquement, les taux d’euthanasie sont plus élevés en Flandre qu’en Wallonie et à Bruxelles. Cependant, l’écart se réduit, suggérant une harmonisation progressive des pratiques.

Par ailleurs, notre étude montre qu’en Belgique, les profils de patients qui recourent à l’euthanasie sont similaires à ceux qui demandent à disposer de l’euthanasie, ou d’autres dispositifs d’aides à mourir, dans d’autres pays. C’est ce qui ressort d’une étude qui a analysé près de 185 000 cas d’assistance à mourir dans 20 pays, malgré des législations variées. Les auteurs estiment que ces décisions sont dictées par la nature des pathologies, et non par le cadre légal, avec une prédominance des maladies graves comme les cancers et la sclérose latérale amyotrophique (également appelée maladie de Charcot).


Du lundi au vendredi + le dimanche, recevez gratuitement les analyses et décryptages de nos experts pour un autre regard sur l’actualité. Abonnez-vous dès aujourd’hui !


Les patients étrangers peu représentés, des Français en majorité

Depuis 2002, il était difficile de connaître l’origine des patients étrangers ayant eu recours à l’euthanasie en Belgique, le formulaire d’enregistrement étant anonyme. Lorsque le lieu de résidence était indiqué, certaines informations pouvaient néanmoins être exploitées : en 2022 et 2023, 170 patients non résidents ont obtenu une euthanasie en Belgique, dont 154 Français.

Depuis mars 2024, à la suite d’un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme (4 octobre 2022), l’anonymat du formulaire a été partiellement levé et le lieu de résidence est désormais systématiquement consultable, ce qui permet de mieux documenter le phénomène : en 2024, 120 patients résidant à l’étranger, dont 106 Français (88,3 %), ont bénéficié de l’euthanasie en Belgique. Il s’agissait principalement de patients âgés de 60 à 79 ans, atteints de tumeurs, de maladies neurologiques ou de polypathologies, dont près des deux tiers étaient en fin de vie à brève échéance.

Les euthanasies pour troubles psychiatriques sévères restent rares

Un point de débat récurrent concerne l’inclusion des troubles psychiatriques sévères comme motif d’euthanasie. En Belgique, cette possibilité existe depuis l’entrée en vigueur de la loi selon des critères stricts. Pourtant, contrairement aux craintes d’une explosion des demandes, notre étude révèle que ces cas restent extrêmement rares. Entre 2002 et 2023, les maladies psychiatriques n’ont représenté que 1,3 % des euthanasies, un chiffre stable.

Les critères stricts impliquent que ces situations concernent généralement des souffrances chroniques, après l’échec de tous les traitements et chaque demande fait l’objet d’une évaluation approfondie avant approbation.

En revanche, les euthanasies pour démence ont légèrement augmenté ces dernières années, bien qu’elles restent inférieures à 1 % du total. Cette tendance reflète en partie le vieillissement de la population mais aussi un changement de pratiques.

(La démence résulte de diverses maladies et lésions qui affectent le cerveau, rappelle l’Organisation mondiale de la santé, la maladie d’Alzheimer étant la cause la plus courante de démence, ndlr).

La loi belge de 2002 qui autorise l’euthanasie n’a été que très peu modifiée depuis son adoption. En 2014, cependant, elle a été étendue aux mineurs, mais avec des critères plus stricts : les souffrances psychiques résultant d’une affection psychiatrique ne sont pas considérées comme une raison pour demander l’euthanasie, et celle-ci n’est donc autorisée que pour les souffrances physiques de mineurs se trouvant dans une situation médicale sans issue entraînant un décès à brève échéance. La capacité de discernement est également exigée, tout comme l’accord des représentants légaux. Entre 2002 et 2023, cinq mineurs de moins de 18 ans ont été euthanasiés.

Pas d’élargissement abusif des critères qui motivent l’euthanasie

Par ailleurs, l’argument de la « pente glissante », selon lequel la légalisation entraînerait un élargissement abusif des critères ne trouve aucun soutien dans nos données. L’augmentation suit principalement les tendances démographiques et l’appropriation de la loi, sans extension des motifs légaux.

Un enjeu clé pour les pays autorisant l’euthanasie est la collecte de données précises. La Belgique dispose d’un système national de déclaration, mais certaines limites subsistent – notamment concernant la possibilité de disposer d’information sur le profil socioéconomique des demandeurs. Une meilleure compréhension des motivations est essentielle pour évaluer l’impact à long terme de la loi.

Alors que de plus en plus de pays envisagent des législations sur la fin de vie, l’expérience belge offre des enseignements précieux, tant sur la régulation que sur la nécessité d’un suivi rigoureux dès le départ.The Conversation

Jacques Wels, Principal Investigator, Unit for Lifelong Health & Ageing, UCL and Natasia Hamarat, PhD Candidate, Sociology of Health and Medicine, Université Libre de Bruxelles (ULB)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.