Chiara Giordano: associer enquête et diffusion

Meliza vient de Philippine, Noêmia du Brésil, Petrica de Roumanie. Ce sont les femmes que Benjamin Durand, réalisateur et Chiara Giordano, sociologue ont filmé dans Auprès d’elle, un documentaire consacré à ces travailleuses invisibles et indispensables qui lavent, cuisinent, nettoient et accompagnent les personnes âgées derrière les façades bruxelloises, parfois vingt-quatre heures sur vingt-quatre, et souvent sans contrat régulier. 

Migrantes sans papiers et aînés en perte d’autonomie: deux populations vulnérables qui se croisent à l’abri des regards, dans un ensemble d’interactions complexes, impossibles à saisir sans s’y attarder. D’où ce travail derrière la caméra, pensé par Chiara Giordano comme partie intégrante de la recherche qu’elle a menée pendant quatre ans.  

Sociologie visuelle

 « Il s’agit d’un outil d’investigation complémentaire, que j’ai utilisé aux côtés d’outils plus classiques (méthodes qualitatives avec entretiens et focus groupe, outils statistiques...) mais qui est aussi ici un résultat, un outil de vulgarisation et de sensibilisation » commente la chercheuse. 

Relevant de la sociologie dite « visuelle », ce documentaire a permis d’approcher l’intimité des personnes dans une perspective qui n’est ni celle du reportage journalistique ni celle du cinéma documentaire classique. « La neutralité totale n’existe pas, mais en tant que sociologue, il était important d’assumer des choix formels qui étaient aussi des choix éthiques, en particulier s’agissant de personnes particulièrement vulnérables. Il fallait aussi parvenir à rendre le contenu facile à comprendre sans donner une grille de lecture subjective ou dogmatique. L’idée était d’ouvrir des pistes de réflexion à travers le son et l’image mais sans donner de réponse ». 

Diffuser et recevoir 

Chiara Giordano utilise aujourd’hui ce documentaire dans le cadre de son enseignement, de colloques ou de conférences «comme part de la littérature scientifique », mais aussi et surtout pour communiquer en dehors de l’université, que ce soit à destination d’experts, de soignants, de membres d’associations pour les travailleurs migrants ou du tout-venant. 

« La thématique, qui touche à la fois au vieillissement de la population et à la précarité, est très actuelle. Or ce type d’outil permet de rendre compte de la complexité du phénomène social ». Et les débats organisés à la suite des différentes projections se sont souvent révélés très riches. 

« On ne donne pas seulement des outils à la société : on reçoit aussi beaucoup.... Ces moments d’échange m’ont d’ailleurs donné l’envie de produire une nouvelle recherche : une analyse de la réaction du public, de ses interactions avec un outil comme celui-là » commente Chiara Giordano. « Les sociologues sont souvent sollicités par les médias » relève encore la chercheuse. « C’est pour nous un énorme potentiel. Mais bien sûr, il existe toujours un risque de mauvaise interprétation. Montrer directement ce que l’on produit est donc un moyen complémentaire de contribuer au débat public ».