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Guerre et paix en Colombie : une enquête auprès des communautés de femmes rurales

Publié le 27 août 2024 Mis à jour le 3 septembre 2024

Les conflits internationaux sont au cœur de l’actualité. La chercheuse France Hubert (CEVIPOL) propose une approche genrée du conflit armé qui fait rage en Colombie en l’abordant d’un point de vue encore méconnu, celui des femmes issues des communautés rurales. Depuis 2016, le gouvernement colombien a convenu d’un accord de paix avec les FARC qui suscite encore aujourd’hui divers obstacles à la fois politiques et à l’échelle locale des différentes communautés. Sa recherche la mène en mission dans des zones à risques et parfois dangereuses de la Colombie. Elle nous fait part de son expérience et explique l’importance de l’approche "par le bas" (bottom up) pour comprendre les rouages du processus de paix en temps de guerre.

France Hubert a été profondément marquée par le référendum colombien de 2016 sur l’accord de paix avec les FARC, une guérilla d’extrême gauche. Elle explique : « J’avais 18 ans à l’époque […] Je me disais, mais comment est-ce qu’on peut dire qu’on refuse la paix et donc qu’on veut continuer le conflit ? ». Cette expérience a orienté ses études vers les relations internationales et les questions de genre, malgré la faible présence de ces dernières dans les cours de son master. Elle a exploré la littérature féministe sur les relations internationales et a trouvé une voie qui résonnait avec ses préoccupations personnelles et académiques.

Enquête de terrain dans la région de Bajo Cauca Antioqueño

Pour sa thèse, France Hubert se concentre sur la participation des femmes rurales au processus de paix, dans les zones où le conflit persiste. Elle souhaite comprendre leur mobilisation et les stratégies qu’elles développent pour résister à la violence quotidienne et contribuer à la construction de la paix. « Il y a cette figure en Colombie qu’ils appellent leader social (líderes sociales, lideresa au féminin) », explique-t-elle, désignant des personnes influentes au sein de leurs communautés, souvent issues de groupes marginalisés, mais pour elle, il existe également d’autres figures, des femmes ordinaires, moins étudiées, qui participent tout autant aux dynamiques de construction de la paix.

France Hubert - Colombie
La région de Bajo Cauca Antioqueño a, en effet, été marquée par la présence de groupes armés. Si à l’origine, c’est surtout la présence des FARC et du Bloque Mineros des paramilitaires, aujourd’hui, on note une présence de l’ELN (Armée de Libération Nationale) et des AGC (Autodéfenses Gaitanistas de Colombie), héritiers des paramilitaires. France souligne que certaines sous-régions sont surétudiées, tandis que d’autres, comme celle où elle travaille, sont moins explorées. « C’était important pour moi de ne pas imposer un sujet depuis mon bureau à Bruxelles », dit-elle.

Les défis d'une étude de terrain en zones de conflit 

France Hubert privilégie une approche de terrain pour sa recherche. « Pour moi, c’est la seule méthode qui convient pour répondre à ma question de recherche », affirme-t-elle. Elle insiste sur l’importance de l’immersion et de la réflexivité en tant que chercheuse européenne dans un contexte latino-américain. Lors de son terrain exploratoire dans la région de Bajo Cauca en Colombie, elle a pu constater les dynamiques complexes de construction de la paix et de persistance de la violence.

France Hubert - Colombie


Souvent, il faut prendre plusieurs de moyens de transport pour pouvoir accéder à des villages assez éloignés. Elle a pu accéder à certaines communautés grâce à des contacts locaux, notamment via Caritas International, une organisation catholique. Si pour elle rencontrer les communautés locales et s’immerger au sein même de leurs réunions est essentiel, cette approche n’est pas sans danger.

Elle raconte un moment marquant de sa mission : « On doit traverser la rivière Cauca et prendre la moto environ 15 minutes pour atteindre une communauté cocalera (qui fait pousser des plantes de coca). […] J’étais accompagnée de ma correspondante locale. Une fois arrivées à la rivière, elle me dit que je dois mettre son gilet de l’association pour laquelle elle travaillait afin de ne pas être vue comme une intruse de la part Du groupe armé qui contrôle la zone. Ce fait anecdotique illustre les précautions nécessaires pour mener ses recherches dans des zones où continuent à se jouer des conflits armés. Il y a des règles à respecter : il faut dire le minimum sur soi et à partir d’un certain point, on ne peut plus prendre de photos.
France Hubert - Colombie
A l’entrée d’un village, la chercheuse aperçoit sur le mur d’une maison, une fresque un peu dépeinte, titrée du message suivant : « Ici nous apportons des graines de paix et d’espoir pour la construction d’une nouvelle région ». Par-dessus, on peut voir le tag d’un des fronts du groupe armé qui contrôle la zone. Cette image illustre bien sa problématique de recherche. Après l’avoir prise en photo, sa collègue sur place lui envoie et supprime l’historique de conversation. Il faut prendre ses précautions et être prudentes parce qu’on peut se faire contrôler à tout moment par un acteur armé.

Son travail en Colombie, centré sur les femmes rurales et les dynamiques de paix, souligne l’importance de la mobilité et de l’immersion pour produire un savoir contextuel et nuancé. Ses recherches contribuent non seulement à la compréhension académique des conflits, mais aussi à la valorisation des voix et des expériences des femmes dans les processus de paix.

Contact :

France Hubert : france.hubert@ulb.be