Comme toutes les industries culturelles, le secteur du livre fait face au défi de la transition écologique, sous ses trois aspects : climatique, de biodiversité et de déchets. Celle-ci représente un enjeu majeur pour l’ensemble de la chaîne de valeur du livre : cycle de production (papier, donc énergie, eau, espèces végétales, formulation des encres), de distribution (transport) et de consommation (déchets). Elle concerne ainsi toutes les étapes de l’activité, de l’éco-conception au réemploi et au recyclage.
Le défi a commencé à être pris en compte à l’échelle internationale par le secteur de l’édition quant aux modes de production et de consommation, qui figurent parmi les objectifs de développement durable (ODD) de l’Agenda 2030 de l’Organisation des Nations unies (ONU) en 2019. Ce défi concerne aussi l’édition et la lecture numériques qui se développent et apparaissent moins favorables pour l’environnement que le mode de production et de consommation classique du papier.
En France, la mise en œuvre de ces objectifs de développement durable repose sur la règle dite de responsabilité élargie du producteur (REP). Elle prend en compte pour chaque industrie une responsabilité du producteur, de bout en bout, à travers chacun des maillons des filières jusqu’au consommateur. Selon le principe pollueur-payeur, il s’agit de rendre responsables les producteurs de l’impact environnemental de leurs produits en assurant individuellement ou collectivement la collecte, la gestion et la valorisation des déchets issus de ces produits (papier, encres).
Des filières REP sont établies pour le verre, le plastique, l’électronique… Le papier d’emballage depuis 1993 et le papier graphique concernent déjà le secteur de la presse depuis 2007. Le secteur de l’édition de livres échappe à cette approche de responsabilité élargie du producteur, le livre papier n’étant pas considéré comme susceptible de devenir un déchet ménager…
[Depuis la remise du manuscrit de ce livre, un plan de transition écologique sectoriel pour l’édition a été rendu public. (Précision des auteurs de l’ouvrage, ndlr)]
Depuis les années 2010 prédomine ainsi une prise de conscience progressive des enjeux de la transition écologique par les professionnels du livre, dont les éditeurs. Fragmentaire et partielle, l’approche dépend surtout d’initiatives issues de maillons de la chaîne à travers des engagements volontaires. Des initiatives d’abord individuelles ou de collectifs prévalent sur certains aspects de l’activité qui visent à promouvoir des modèles de production et de commercialisation de livres plus respectueux de l’environnement.
Peu de papier recyclé
Ainsi, du côté de l’amont, la pression sur la disponibilité et le prix des matières premières (papier, énergie, eau et transport) est mise en avant, même si de nouvelles sensibilités à l’écologie s’expriment. De meilleures pratiques d’achat du papier progressent : 97 % du papier acheté par les éditeurs est certifié par des labels (PEFC, FSC) relatifs à la gestion durable des forêts, alors que le papier recyclé représente seulement 1 % du total.
La production de papier pour l’édition de livres n’est pas prise en compte par la REP papiers graphiques, ce qui constitue un segment particulièrement critique en consommation énergétique et d’eau, mais surtout en matière de transport. En effet, la production de papier provient essentiellement de pays étrangers, la France ayant un solde extérieur très négatif. En aval, du côté des librairies, on mise sur l’aménagement des lieux de vente (éclairage, chauffage, isolation, récupération de mobilier, etc.), l’optimisation des achats de livres pour diminuer les retours ou encore l’usage de produits à plus faible impact (emballages cadeaux, sacs en papier, etc.)].
Enfin, du côté des bibliothèques, sous l’impulsion de la Fédération internationale des associations et institutions de bibliothèques (IFLA), une approche collective prévaut aussi, ce dont témoigne par exemple l’Agenda 2030 des bibliothèques en France. Les objectifs poursuivis tiennent à la mutualisation des ressources entre établissements et à l’amélioration de la logistique pour réduire l’empreinte environnementale des prêts de livres. L’enjeu de la plastification des livres offerts au prêt est également soulevé. À l’avenir, ces initiatives sont conduites à tenir compte d’autres facteurs, comme le transport des consommateurs et des salariés.
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Un modèle économique à questionner
L’enjeu de la transition écologique de l’édition est surtout concentré sur les éléments les plus industriels du secteur, ce qu’illustre la part de production d’imprimerie hors de France (Espagne, pays d’Europe orientale, voire Chine). Sur le segment de la production et de la commercialisation, le défi de la transition écologique affecte le cœur du modèle économique structurel de l’édition de livres. En effet, l’industrie de l’édition repose sur une logique d’offre structurellement supérieure aux ventes, ne serait-ce que pour atteindre des publics qui, en situation de sous-production et insuffisance de distribution, ne seraient ni informés de l’existence de l’offre ni en mesure de se la voir proposer.
L’économie d’échelle issue de l’imprimerie ne constitue pas un frein à ce modèle. Aussi, l’ensemble de la chaîne de distribution (stockage et acheminement aller et retour vers les points de vente) se pérennise. Elle se traduit dans les volumes distribués comme dans ceux des retours, ainsi que dans les taux de pilon. Des outils d’intelligence artificielle (IA) pourraient aussi améliorer la gestion de la production, des stocks et des transports, mais leur propre impact environnemental n’est pas neutre.
La transition écologique peut apparaître comme un défi des plus difficiles à relever pour le secteur de l’édition. Celui-ci a manifesté une grande capacité d’innovation et d’adaptation aux techniques, mais à modèle économique central inchangé. Le défi écologique, en revanche, questionne les fondements mêmes de son modèle économique.
Cet article est issu de l’ouvrage Économie du livre (Ed La Découverte) écrit Philippe Chantepie les intertitres sont de la rédaction de The Conversation France
Louis Wiart, Chaire de communication, Université Libre de Bruxelles (ULB)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.