Dans l’imaginaire collectif, une classe « studieuse » est souvent représentée par des élèves en rang, plongés dans leur travail, dans un silence absolu ou, lorsque le travail est fini, les bras croisés.
Une classe silencieuse est-elle nécessairement une classe concentrée sur ses cours ? Cette question, loin d’être anecdotique, touche au cœur des enjeux pédagogiques d’expression, d’interaction et de participation active des élèves. Si le silence a une histoire, il a une actualité en tant qu’apprentissage.
Silence et autorité
Pour une pédagogie historiquement fondée sur l’écoute passive et la mémorisation répétitive, le silence est un élément central de la discipline scolaire. Participant du contrôle des corps et des comportements dont parle Michel Foucault, il est devenu un symbole de respect envers l’autorité du maître et de concentration des élèves.
Le silence est donc souvent utilisé par les enseignants, notamment dans le premier degré, comme un outil de gestion de la classe. Il permet de réduire les distractions et de signaler aux élèves qu’ils doivent se concentrer sur la tâche à accomplir. Ce silence est parfois un combat tellement il est difficile à obtenir.
C’est aussi un élément d’autorité de l’enseignant comme l’écrit Magali Boizumault :
« Le silence est tout d’abord un moyen, nécessitant la mise en œuvre de gestes professionnels sollicitant la mise en scène corporelle de l’enseignant pour l’obtenir et parvenir à passer ses consignes à l’ensemble du groupe classe. Puis, il devient une fin en soi pour maintenir un climat de travail serein ».
Le silence peut également avoir des effets contre-productifs. Une classe trop silencieuse peut dissimuler une absence d’engagement ou une incompréhension des élèves. Un silence imposé peut signifier que les élèves n’osent pas poser des questions ou interagir. De ce fait, il est essentiel pour l’enseignant de savoir décoder ce silence : est-il synonyme de concentration, ou cache-t-il un malaise ou une passivité ?
Silence et participation des élèves
La parole et le dialogue jouent un rôle essentiel dans l’apprentissage, notamment en permettant aux élèves d’exprimer leurs idées, de formuler leurs incompréhensions, et d’ajuster leur raisonnement au contact de leurs pairs. Le silence, dans ce contexte, pourrait être interprété non pas comme un signe d’attention mais comme un frein à la participation et à l’engagement des élèves.
La question n’est pas nouvelle. Le socialiste libertaire Paul Robin théorise et met en œuvre à partir de 1881 une éducation intégrale à la fois intellectuelle, physique, émotionnelle ou l’expression joyeuse s’oppose à un silence synonyme de passivité. Mais cette question a divisé les pédagogues réformateurs de l’éducation nouvelle au début du XXe siècle. Élise Freinet oppose ainsi en 1932 le silence des classes Montessori à l’effervescence de la pédagogie Freinet :
« Nous les regardions avec une sorte d’étonnement manier en silence, avec dextérité, les surfaces et les cubes, et tous ces objets de l’immobilité qui conduisent parfois à des virtuosités de racine carrée ou de racine cubique nous plaçaient dans une atmosphère de singes savants… Nous pensions à nos petits élèves hirsutes et débraillés si spontanés dans leurs gestes et dans leurs élans, et le souvenir de nos classes bourdonnantes s’imposait à nous et nous empêchait de comprendre peut-être ce qui se cachait de vérité dans les jeux des petits prestidigitateurs montessoriens. »
Ainsi, si le silence est souvent vu comme antinomique de la participation active, cette opposition mérite d’être nuancée. Certaines études mettent en avant sa fonction performatrice. Et suggèrent que le silence encourage l’autorégulation des élèves, en les incitant à se tourner vers leurs propres pensées et à traiter l’information de manière autonome.
Cet espace silencieux devient alors un temps où chaque élève peut avancer à son propre rythme, en fonction de ses besoins et de sa capacité à intégrer les connaissances permettant une meilleure relation pédagogique.
Dans une classe l’équilibre entre le silence et l’expression est fondamental pour devenir un véritable outil pédagogique. Un enseignant qui privilégie uniquement le silence peut inhiber la créativité et la curiosité des élèves. Au contraire, un environnement dans lequel la parole est encouragée, sans tomber dans le brouhaha, peut stimuler la participation et l’investissement de tous les élèves pour créer un climat scolaire où le silence et la parole coexistent de manière complémentaire, chacun ayant un rôle à jouer dans le processus d’apprentissage.
Cet apprentissage de la prise de parole et du silence peut se développer notamment grâce aux activités théâtrales, où les silences sont des éléments importants. Par ailleurs, le silence, comme l’expression orale constituent aussi un enjeu de pouvoir entre garçons et filles dans les apprentissages dont les enseignants doivent être conscients.
Le silence, un enjeu scolaire
Bénéfique pour la santé, le silence peut jouer un rôle clé dans le développement de compétences socio-émotionnelles, alors même que le bruit ambiant devient une véritable source de nuisance pour les élèves. Dans une société où le bruit est la norme, le temps du silence prend une autre signification en classe : un temps qui peut être maîtrisé. L’environnement sonore est un véritable enjeu pour l’école en lien avec la compréhension du rôle du silence dans l’ensemble du processus éducatif scolaire.
Si l’idée d’un élève « visuel » ou « auditif » apparait comme un neuromythe, les enseignants peuvent autoriser des moments de silence pour la réflexion individuelle, tout en favorisant les échanges interactifs pour ceux qui apprennent par la parole. En ce sens, la gestion du silence ne doit pas être uniforme en classe mais bien liée aux besoins des élèves et des objectifs pédagogiques à atteindre.
[Déjà plus de 120 000 abonnements aux newsletters The Conversation. Et vous ? Abonnez-vous aujourd’hui pour mieux comprendre les grands enjeux du monde.]
La gestion du silence et du niveau sonore classe ne dépend pas uniquement de la façon d’enseigner. Elle est également conditionnée par les qualités acoustiques des espaces. Un environnement acoustique déficient peut nuire à l’efficacité de la gestion sonore, en introduisant des bruits parasites internes ou externes à la salle de classe, altérant le climat de travail et les interactions. En améliorant les conditions acoustiques, l’enseignant peut donc mieux contrôler le bruit et ainsi atteindre ses objectifs pédagogiques.
Au-delà de la salle de classe, les nouvelles formes scolaires, notamment l’enseignement en plein air, abordent le silence de manière différente et repensent son rôle et sa fonction dans l’acte éducatif, l’utilisant comme un moyen d’écoute de la nature environnante, de concentration et d’observation. Autant de perspectives pour apprendre le rôle et l’importance du silence aujourd’hui en éducation comme dans l’ensemble des relations humaines.
Sylvain Wagnon, Professeur des universités en sciences de l'éducation, Faculté d'éducation, Université de Montpellier; Fabien Groeninger, Maître de conférences, Faculté d'éducation, LIRDEF (Laboratoire interdisciplinaire de recherche en didactique, éducation et formation), Université de Montpellier, and Sonia Vermeulen Steyaert, Doctorante en Psychologie du travail et Sciences de l'éducation, Université Libre de Bruxelles (ULB)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.