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Les jumeaux numériques: modéliser le réel pour mieux décider

Publié le 8 avril 2025 Mis à jour le 9 avril 2025

Et si nous pouvions simuler les effets d’un chantier, d’un changement de production ou d’un aléa énergétique avant même qu’ils n’aient lieu ? C’est la promesse des jumeaux numériques, ces répliques virtuelles d’objets ou de systèmes réels, capables de s’actualiser en temps réel grâce aux données issues du terrain. En combinant modélisation, intelligence artificielle et analyse prédictive, ces dispositifs ouvrent de nouvelles voies pour la prise de décision, la planification stratégique ou l’optimisation de processus complexes.

Au Machine Learning Group de l’ULB, Eladio Montero Porras explore depuis plusieurs années le potentiel de ces technologies, en lien avec les travaux menés au sein de FARI (l’Institut bruxellois d’intelligence artificielle pour le bien commun) et du TRAIL AI Institute. Pour lui, le jumeau numérique constitue bien plus qu’un outil de simulation : c’est un véritable pont entre le monde physique et le monde numérique.

« Un jumeau numérique n’est pas simplement une modélisation figée. C’est un système vivant, mis à jour en continu grâce à une communication bidirectionnelle entre la réalité et sa réplique virtuelle », explique-t-il.

Simuler pour mieux circuler

L’un des axes actuellement explorés par son équipe concerne la gestion du trafic urbain. Grâce aux données collectées en temps réel sur la circulation, la vitesse moyenne des véhicules ou encore l’occupation des routes, il devient possible de modéliser l’impact potentiel de futurs travaux ou d'aménagements urbains. Objectif : anticiper les effets, tester différents scénarios et choisir les options les plus efficientes — en termes de coûts, de mobilité ou de qualité de vie.
« On peut simuler différents itinéraires, anticiper les déviations, évaluer le temps de parcours ou les ralentissements attendus. Cela permettrait aux autorités publiques d’économiser temps et argent, tout en rendant les choix plus transparents et rationnels », souligne Eladio Montero Porras.

Pour l’instant, il s’agit d’un prototype, mais les résultats sont prometteurs. Ce type d’outil pourrait à terme s’intégrer dans les processus décisionnels d’acteurs publics comme Bruxelles Mobilité, pour rendre plus visibles et plus mesurables les effets d’une politique de mobilité.

De l’industrie à la ville : un outil de transition

Les champs d’application ne s’arrêtent pas là. Les jumeaux numériques trouvent aussi un terrain fertile dans l’industrie manufacturière, en particulier dans les secteurs où la production génère beaucoup de déchets ou de pertes de matière. Le laboratoire CIRIS (ULB) travaille, par exemple, à leur intégration dans la production plastique, afin d’optimiser les processus et de réduire l’empreinte écologique.

Mais si les promesses sont nombreuses, les obstacles le sont aussi. « Le principal frein reste l’accès aux données », précise Montero Porras. Dans bien des cas, les données nécessaires sont détenues par des opérateurs publics ou privés qui hésitent encore à les partager. Or, sans cette matière première, la puissance de l’intelligence artificielle ne peut être pleinement exploitée.

Entre recherche et innovation

C’est là que FARI joue un rôle crucial : en tant que plateforme interdisciplinaire et interface entre université, secteur public et société civile, l’Institut peut contribuer à faire émerger des projets à fort impact, tout en garantissant un usage éthique des données. Dans ce paysage en mutation, Eladio Montero Porras entrevoit un véritable espace d’action pour la recherche universitaire, notamment dans la co-construction d’outils avec les acteurs publics et privés.

« Il ne s’agit pas simplement d’inventer des technologies, mais de les rendre utilisables, compréhensibles, intégrées dans des écosystèmes réels. »

À l’heure où les villes cherchent à devenir plus intelligentes, plus durables, plus inclusives, les jumeaux numériques offrent une boussole précieuse. Encore faut-il créer les conditions de leur mise en œuvre, en développant les ponts entre ingénierie, politiques publiques et innovation sociale.