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Pommes de terre: des Andes à notre assiette, un aller sans retour

Publié le 9 octobre 2024 Mis à jour le 9 octobre 2024

Dans les Andes, les cultivateurs entretiennent un lien affectif fort avec leurs pommes de terre, contrastant avec l’agriculture industrielle qui considère et traite ce tubercule comme une ressource inerte. Un catalogue de semences présentées par les cultivateurs des hautes terres de Cuzco (Pérou) a été créé pour valoriser ces pratiques et obtenir une reconnaissance équitable de leur expertise. Au coeur de ce projet, l’anthropologue Olivia Angé de la Faculté de Philosophie et Sciences sociales.

À plusieurs milliers de kilomètres de nos assiettes, dans le centre de domestication de la cordillère des Andes, notamment au Pérou, les agriculteurs cultivent des milliers de variétés de pommes de terre qui nous sont inconnues. Cette diversité est le fruit d’un travail perpétué depuis des générations de cultivateurs s’attachant à traiter ce tubercule avec respect, tel un membre de leur famille. Pour eux, la pomme de terre est à la fois une mère, pour l’alimentation vitale qu'elle fournit, et un enfant, en raison des soins attentifs qu'ils lui prodiguent. L’agrodiversité que leurs pratiques agricoles ont favorisée au fil des siècles leur permet de s’adapter aux conditions écologiques spécifiques des micro-environnements qui composent la cordillère, mettant en lumière une gestion durable et résiliente face aux incertitudes climatiques mondiales.

Parc de la Pomme de Terre, 2022

Parc de la Pomme de Terre, 2022

Photos : Parc de la Pomme de Terre à Cuzco, Pérou (2022)
 

Professeur en anthropologie, Olivia Angé étudie ces agricultures florissantes. « Les monocultures industrielles reposent sur la création de super-héros tubéreux : des variétés de pommes de terre calibrées pour la production de masse quel que soit leur contexte écologique. Ces méthodes industrielles favorisent l'uniformité et les économies d'échelle, au détriment de la biodiversité et des écologies agricoles. », observe Olivia Angé. « Pour développer ces variétés, les grandes entreprises agro-industrielles exploitent les ressources génétiques extraites dans les communautés andines, sans offrir de compensation matérielle, ni de reconnaissance à ces agriculteurs, dont l’expertise agricole porte sur des centaines de variétés cultivées depuis des millénaires. »


Après neuf ans de collaboration ethnographique dans les communautés du Parc de la Pomme de Terre à Cuzco, Olivia Angé édite un catalogue subversif de semences. Écrit en quechua par une équipe de cultivateurs du Parc de la Pomme de Terre, ce catalogue présente 103 variétés parmi celles cultivées dans les champs des auteurs. Il trace les généalogies et affinités qui unissent les différentes pommes de terre, révélant une longue histoire de coexistence dans les écologies des terres andines. Contrairement aux nomenclatures scientifiques introduites par les explorateurs du 20e siècle, qui ont souvent rebaptisé ces tubercules en ignorant leur histoire, le catalogue présente les pommes de terre telles qu’elles sont connues et valorisées par leurs cultivateurs.

« En mettant en lumière ces pratiques agricoles, cet outil vise à valoriser l’expertise des communautés andines et à faire reconnaître le travail de soin millénaire qui a été réalisé dans la cordillère pour propager cette immense diversité végétale » conclut Olivia Angé.


Après avoir été distribués aux collaborateurs du Parc de la Pomme de terre, des exemplaires seront envoyés à une sélection de scientifiques, d’artistes et de membres d’institutions investies dans les politiques agricoles. Le catalogue sera également présenté lors d’événements publics au Pérou et ailleurs.
 

Cette étude s’inscrit dans le cadre du projet européen Seeds Values. Value Creation and Relatedness in AgroBiodiversity Hotspots (ERC).