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Prendre en compte le corps des femmes: l’impact du cycle menstruel et de la contraception sur les performances sportives
La chercheuse Marine Carpentier (Laboratoire de physiologie cardio-respiratoire à l’effort) s’attaque à un point aveugle de la recherche en science de la motricité : l’influence du cycle menstruel et de la contraception hormonale sur les performances sportives. En cette journée internationale des droits des femmes, elle nous partage ses constats, ses premières hypothèses et ses perspectives de recherche.
Kinésithérapeute de formation, Marine Carpentier est également formée en pathologies du sport (2018) et est assistante à la Faculté des Sciences de la Motricité. Elle travaille aujourd’hui dans le Laboratoire de physiologie cardio-respiratoire à l’effort et s’intéresse pour sa recherche à un panel exclusivement féminin. Cette approche, comme elle le souligne, est particulièrement innovante : une étude, menée par Joseph Costello (2014) sur trois des plus grands journaux scientifiques spécialisés en médecine et sciences du sport, a révélé que seules 34% des recherches incluaient des données relatives aux femmes et qu’à peine 4 à 13% d'entre elles portaient exclusivement sur des femmes. Des chiffres stupéfiants quand on sait que cette étude a analysé 2 366 968 articles publiés entre 2011 et 2013.
La sous-représentation des femmes dans les études scientifiques
Non seulement, les femmes sont peu présentes dans la plupart des études de grande envergure en matière de sciences de la motricité et médecine du sport, mais lorsqu’elles le sont, ce sont pour des raisons avant tout pratiques. C’est en tout cas les constats qu’a fait Marine au moment de commencer ses recherches : son premier travail consistait à calculer les variations des pressions intra-abdominales et thoraciques pendant des exercices d’abdominaux et le choix des sujets s’est naturellement porté sur des femmes, non seulement pour l’implication que cela pouvait avoir pour le périnée, mais également pour l’éventuelle nécessité de passer par voie basse qui serait plus aisée et globalement mieux acceptée pour les femmes que par les hommes. Le contexte sociétal influence également le choix des données : pour l’une de ses recherches qui portait sur des techniques de crochetage, elle a travaillé sur une équipe sportive de haut niveau. Or, la compétition sportive est également un milieu où les disparités de genre se font plus profondément sentir : lors de ses stages, elle a pu constater que les sportifs de haut niveau disposaient généralement de bien meilleures infrastructures que les athlètes femmes : « ils ont chacun leur petite cabine individuelle alors que les femmes peuvent venir s’entraîner à 23h… Voilà la réalité des choses » observe-t-elle.
Suite à ces expériences, l’idée de mettre les femmes en premier plan dans ses recherches est devenue de plus en plus claire. A la lecture du livre de Caroline Criado Perez, « Invisible Women : exposing data bias in a worl designed for men » (2019), son sujet de thèse a commencé à émerger. Les études mettaient en évidence un manque flagrant de données de femmes dans diverses problématiques actuelles, et entre autres dans le domaine qu’étudie Marine, le milieu sportif et la médecine du sport. La raison évoquée est toujours la même : « on ne connait pas les effets des hormones et de la contraception sur les femmes. Et plutôt que de s’intéresser à savoir quels sont ces fameux effets, on préfère contourner la difficulté et prendre un groupe d’hommes » explique-t-elle.
La nécessité d'une méthodologie stricte
À l’heure actuelle, les études de qualité sur ces questions manquent. Il existe pourtant une abondante littérature sur l’influence du cycle hormonal et de la contraception, mais il n’y a pas de consensus scientifique sur ces questions. Les raisons sont multiples, soit les méthodologies ne sont pas entièrement adaptées, soit l’échantillon envisagé n’est pas assez conséquent pour donner des résultats probants. C’est la raison pour laquelle Marine Carpentier a pris le temps de mettre ce projet sur pied et de s’assurer une méthodologie stricte et irréprochable pour permettre des données exploitables.
Une recherche axée sur les femmes
Ses expériences et ce constat l’ont poussée à envisager un sujet de thèse qui se concentre exclusivement sur les sujets féminins et plus particulièrement sur l’influence de la contraception hormonale, la non-contraception et du cycle hormonal des femmes dans l’effort et les performances sportives. Plus précisément, elle étudie l’adaptation de la circulation pulmonaire à l’effort, c’est-à-dire la petite circulation entre cœur et poumon. En prenant en compte le cycle hormonal ainsi que la présence ou l’absence de contraception, elle s’intéresse à la performance aérobie. Elle étudie trois groupes : des femmes qui prennent la pilule de deuxième génération ou de quatrième génération et celles qui ne prennent pas de contraception. L’étude prend en compte les deux phases du cycle menstruel, la phase folliculaire (des règles à l’ovulation) et la phase lutéale (de l’ovulation aux règles). Le but est de calculer le taux hormonal à différents moments du cycle. C’est une étude qui se veut avant tout observationnelle, accompagnée d’une énorme batterie de tests. Différentes hypothèses se présentent qu’il s’agit de vérifier par un protocole strict. Par exemple, le taux de glucides ou de graisses utilisés durant l’effort en fonction du cycle etc.
En rassemblant des participantes volontaires et en menant une étude approfondie sur la performance sportive chez les femmes, Marine Carpentier ouvre la voie à une meilleure prise en compte des spécificités physiologiques des femmes dans le domaine du sport et de la santé. Son travail promet d'apporter des réponses cruciales à une question souvent négligée, offrant ainsi aux femmes une compréhension plus complète de leur propre corps et de leurs capacités athlétiques.