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Le satellite Gaia de l’Agence Spatiale Européenne repère un trou noir dormant très massif dans notre Galaxie

Publié le 16 avril 2024 Mis à jour le 16 avril 2024

Un consortium d’astronomes, parmi lesquels une équipe ULB, découvre, grâce aux données du satellite Gaia, le plus gros trou noir dormant jamais enregistré : plus de 33 fois la masse du Soleil. Et ils expliquent pour la première fois comment un trou noir d’une si grande masse a pu être produit.

La matière contenue dans un trou noir est si dense que rien ne peut échapper à son immense attraction gravitationnelle, pas même la lumière (d'où le nom de trou noir). La grande majorité des trous noirs de masse stellaire que nous connaissions jusqu’ici engloutissent la matière d'un compagnon stellaire proche. La matière capturée tombe sur l'objet effondré à grande vitesse, devenant extrêmement chaude et libérant des rayons X. Ces systèmes appartiennent à la famille d’astres appelés "binaires à rayons X".

Lorsqu'un trou noir n'a pas de compagnon suffisamment proche pour lui voler de la matière, il ne produit aucune lumière et est extrêmement difficile à repérer. Ces trous noirs sont dits "dormants".

C’est un de ces objets que viennent de découvrir des astronomes, dont six de l’Université libre de Bruxelles - Institut d'Astronomie et d'Astrophysique, Faculté des Sciences -, en analysant le mouvement inhabituel de sa compagne, une vieille étoile géante de la constellation de l'Aigle, à une distance de 1926 années-lumière de la Terre.

Appelé Gaia BH3 (‘Black Hole 3’) ce trou noir dormant, le troisième découvert grâce à Gaia, a la particularité d’être le plus massif connu jusqu’ici, faisant 33 fois la masse du Soleil.

Avant Gaia BH3, le record de masse était détenu par un trou noir dans une binaire à rayons X de la constellation du Cygne (Cyg X-1), dont la masse est estimée à environ 20 fois celle du Soleil.

La qualité des données de Gaia a permis aux scientifiques de déterminer la masse du trou noir Gaia BH3 avec une précision inégalée. Ces mesures confirment, de manière indiscutable, que des trous noirs aussi massifs que ceux détectés grâce à l'observation des ondes gravitationnelles existent bel et bien.

Une énigme subsiste : comment expliquer la présence de ces trous noirs d’une si grande masse?

La plupart des théories prévoient qu'en vieillissant, les étoiles massives se débarrassent d'une partie importante de leur matière par le biais de vents puissants ; ces étoiles explosent ensuite sous la forme d’une supernova. Leur noyau se contracte alors pour devenir soit une étoile à neutrons, soit un trou noir, dépendant de la masse initiale de l’étoile. Mais comment expliquer la présence de noyaux suffisamment gros pour devenir des trous noirs d'une masse 30 fois supérieure à celle de notre soleil ?

Un indice pour résoudre cette énigme pourrait se trouver tout près de Gaia BH3, dans son étoile compagne. Elle gravite autour de Gaia BH3 à une distance d’environ 16 fois la distance Soleil-Terre. Et, c’est étonnant,  c’est une vieille étoile géante qui s'est formée environ 2 milliards d'années après le Big Bang, à l'époque où notre Galaxie a commencé à s'assembler. Cette étoile, qui appartient au halo galactique, se déplace dans la direction opposée aux étoiles du disque galactique. Sa trajectoire indique que cette étoile faisait probablement partie d'une petite galaxie, ou d'un amas globulaire, engloutie par notre Galaxie il y a plus de 8 milliards d'années.

L'étoile compagne de Gaia BH3 contient très peu d'éléments plus lourds que l'hydrogène et l'hélium, ce qui indique que le progéniteur de Gaia BH3 a dû, lui aussi, être une étoile massive très pauvre en éléments lourds. La composition chimique de la compagne de Gaia BH3 est similaire à celle des autres vieilles étoiles pauvres en métaux de la Galaxie. Rien n'indique que cette étoile ait été contaminée par l’ejecta de l'explosion de l'étoile massive qui est devenue BH3.

Cette découverte confirme donc pour la première fois l'idée que les trous noirs de grande masse ont été produits par l'effondrement d'étoiles massives primitives pauvres en éléments lourds. Ces étoiles primitives pourraient avoir évolué différemment des étoiles massives qui peuplent  aujourd’hui notre Galaxie et être à l’origine des trous noirs très massifs.

La Belgique au sein du Gaia Data Processing and Analysis Consortium (Gaia DPAC)

Les données recueillies par le satellite Gaia sont traitées par le consortium DPAC qui rassemble environ 450 astronomes, majoritairement européens, parmi lesquels l’expertise des chercheurs belges joue un rôle important. Parmi eux, figurent des astronomes de l’Université libre de Bruxelles (ULB), de l’Observatoire royal de Belgique (ORB), de l’Université de Liège (ULiège), de l’Université de Leuven (KU Leuven) et de l’Université d’Anvers (UAntwerpen), soutenus par un financement de la Politique scientifique fédérale de Belgique (BELSPO) via le programme PRODEX de l’ESA.

Dans le cas de Gaia BH3, les astronomes de l’ULB ont utilisé le spectrographe HERMES installé sur le télescope Mercator de l’Instituut voor Sterrenkunde de la KULeuven situé à l’observatoire Roque de los Muchachos (La Palma, Iles Canaries) afin de confirmer la solution orbitale obtenue par les données Gaia pour le système binaire auquel appartient Gaia BH3. Leurs collègues de l’Observatoire Royal de Belgique, de l’Université de Liège et de l’Université d’Anvers ont contribué à calibrer les spectres à haute résolution de Gaia desquels ils ont obtenu les mesures précises de vitesse ayant permis de calculer l’orbite du trou noir autour de sa compagne stellaire.

L'article « Discovery of a dormant 33 solar-mass black hole in pre-release Gaia astrometry » by Gaia Collaboration, P. Panuzzo et al. est publié aujourd'hui 16 avril 2024 dans la revue Astronomy & Astrophysics (https://www.aanda.org).

Cette étude a fait usage également de données provenant :

- De l’instrument « Ultraviolet and Visual Echelle Spectrograph » (UVES) installé sur le « Very Large Telescope » de l’Observatoire Européen Austral au Chili.

- Du spectrographe HERMES installé sur le Télescope Mercator géré par la KULeuven à La Palma (Espagne) en collaboration avec l’Observatoire de l’Université de Genève (Suisse).

- Du spectrographe à haute résolution et haute précision SOPHIE de l’Observatoire de Haute-Provence – OSU Institut Pythéas.

Adapté du CP de l’ESA.

 

Contact scientifique

Alain Jorissen - Institut d'Astronomie et d'Astrophysique – Faculté des Sciences :  alain.jorissen@ulb.be, 02 6502834.