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Migration : la communication de l'UE décryptée en Afrique
Publié le 6 juin 2025
– Mis à jour le 10 juin 2025
Depuis 2015, l'Union européenne déploie de nombreuses campagnes de communication en Afrique pour freiner la migration irrégulière vers l'Europe. Ces initiatives, largement inconnues du public européen malgré leurs financements croissants, ont été analysées au Sénégal et au Niger par la chercheuse Julia Van Dessel de l'Université libre de Bruxelles.
Affiches, clips musicaux, émissions télévisées, témoignages de migrants de retour : l'Union européenne mobilise depuis près d'une décennie un arsenal communicationnel impressionnant en Afrique de l'Ouest. Ces campagnes multimédias, qui s'appuient sur des artistes locaux et des figures publiques comme ambassadeurs, dissimulent derrière leur apparente diversité une stratégie uniforme de dissuasion émotionnelle. Julia Van Dessel, chercheuse au Centre de recherche et d'études en politique internationale (REPI) de la Faculté de Philosophie et Sciences sociales de l'ULB, s’est intéressée à ces campagnes en partant les observer sur le terrain.
La résurgence de ces initiatives médiatiques dans l'agenda européen dès 2014, en réponse à la "crise des naufrages" en Méditerranée, traduit une volonté politique forte de la Commission européenne. L'objectif affiché : informer les migrants potentiels par des campagnes multi-canaux. Cependant, l'efficacité de ces messages reste questionnable face à des populations qui privilégient l'information via les réseaux sociaux ou leurs proches ayant migré.
L'analyse menée par Julia Van Dessel démontre les ressorts de cette communication principalement axée sur la mise en scène des dangers, l'exaltation du patriotisme et la glorification du retour au pays d'origine. Cette approche met en lumière un décalage parfois flagrant entre la perspective européenne véhiculée et les réalités locales ouest-africaines.
Les dangers évoqués dans ces campagnes relèvent souvent d'une vision européocentrée, éloignée des préoccupations réelles des candidats au départ. Ainsi, certains spots présentent le fait de dormir sous une tente comme un argument dissuasif, ce qui résonne peu auprès de personnes déjà confrontées à des conditions de vie précaires et prêtes à tout pour partir.
La chercheuse souligne une contradiction fondamentale dans cette approche communicationnelle : "ces campagnes ne visent pas à informer de manière neutre et complète. Une véritable campagne d'information présenterait les voies légales de migration. Ce n'est absolument pas ce que l'on observe sur le terrain." Cette observation questionne la nature même de ces initiatives, présentées comme informationnelles mais fonctionnant en réalité comme des outils de dissuasion.
Les intermédiaires locaux de ces campagnes ont développé des stratégies endogènes pour contourner la méfiance naturelle du public ouest-africain envers les messages européens. Cette adaptation locale a paradoxalement transformé ce qui était censé être une politique d'information transparente en une politique de dissimulation de la dissuasion, créant un hiatus entre les objectifs affichés et les méthodes employées.
Au-delà de leur dimension purement communicationnelle, ces campagnes réactivent selon Julia Van Dessel des logiques de domination héritées de l'histoire coloniale : "Ce discours, qui prétend protéger mais impose en réalité une vision et des intérêts extérieurs, réactive toute une série de logiques héritées du colonialisme." Cette analyse replace ces initiatives dans un contexte géopolitique plus large, questionnant les rapports de force entre l'Europe et l'Afrique de l'Ouest.
L'ambiguïté stratégique de ces campagnes se révèle également dans leur double fonction : outre leur visée locale de dissuasion, elles répondent à un besoin de communication interne européenne. Elles permettent de rassurer les opinions publiques européennes et de justifier l'action des institutions communautaires. Cette dualité assumée offre une flexibilité politique précieuse : "Elles peuvent être présentées soit comme des actions humanitaires, soit comme des outils sécuritaires. C'est ce flou qui permet de rallier des États membres aux sensibilités divergentes."
Contact scientifique :
VAN DESSEL Julia, Centre de recherche et d'études en politique internationale (REPI), Faculté de Philosophie et Sciences sociales de l'ULB, Université libre de Bruxelles. julia.van.dessel@ulb.be
La résurgence de ces initiatives médiatiques dans l'agenda européen dès 2014, en réponse à la "crise des naufrages" en Méditerranée, traduit une volonté politique forte de la Commission européenne. L'objectif affiché : informer les migrants potentiels par des campagnes multi-canaux. Cependant, l'efficacité de ces messages reste questionnable face à des populations qui privilégient l'information via les réseaux sociaux ou leurs proches ayant migré.
L'analyse menée par Julia Van Dessel démontre les ressorts de cette communication principalement axée sur la mise en scène des dangers, l'exaltation du patriotisme et la glorification du retour au pays d'origine. Cette approche met en lumière un décalage parfois flagrant entre la perspective européenne véhiculée et les réalités locales ouest-africaines.
Les dangers évoqués dans ces campagnes relèvent souvent d'une vision européocentrée, éloignée des préoccupations réelles des candidats au départ. Ainsi, certains spots présentent le fait de dormir sous une tente comme un argument dissuasif, ce qui résonne peu auprès de personnes déjà confrontées à des conditions de vie précaires et prêtes à tout pour partir.
La chercheuse souligne une contradiction fondamentale dans cette approche communicationnelle : "ces campagnes ne visent pas à informer de manière neutre et complète. Une véritable campagne d'information présenterait les voies légales de migration. Ce n'est absolument pas ce que l'on observe sur le terrain." Cette observation questionne la nature même de ces initiatives, présentées comme informationnelles mais fonctionnant en réalité comme des outils de dissuasion.
Les intermédiaires locaux de ces campagnes ont développé des stratégies endogènes pour contourner la méfiance naturelle du public ouest-africain envers les messages européens. Cette adaptation locale a paradoxalement transformé ce qui était censé être une politique d'information transparente en une politique de dissimulation de la dissuasion, créant un hiatus entre les objectifs affichés et les méthodes employées.
Au-delà de leur dimension purement communicationnelle, ces campagnes réactivent selon Julia Van Dessel des logiques de domination héritées de l'histoire coloniale : "Ce discours, qui prétend protéger mais impose en réalité une vision et des intérêts extérieurs, réactive toute une série de logiques héritées du colonialisme." Cette analyse replace ces initiatives dans un contexte géopolitique plus large, questionnant les rapports de force entre l'Europe et l'Afrique de l'Ouest.
L'ambiguïté stratégique de ces campagnes se révèle également dans leur double fonction : outre leur visée locale de dissuasion, elles répondent à un besoin de communication interne européenne. Elles permettent de rassurer les opinions publiques européennes et de justifier l'action des institutions communautaires. Cette dualité assumée offre une flexibilité politique précieuse : "Elles peuvent être présentées soit comme des actions humanitaires, soit comme des outils sécuritaires. C'est ce flou qui permet de rallier des États membres aux sensibilités divergentes."
Contact scientifique :
VAN DESSEL Julia, Centre de recherche et d'études en politique internationale (REPI), Faculté de Philosophie et Sciences sociales de l'ULB, Université libre de Bruxelles. julia.van.dessel@ulb.be