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Les dynasties politiques en Belgique : entre héritage et modernité

Publié le 14 mai 2024 Mis à jour le 22 mai 2024

La politique belge, une affaire de famille ? C'est la question à laquelle ont tenté de répondre Jean-Benoît Pilet et Jérémie Tojerow dans une étude du CRISP (centre de recherche et d'information socio-politiques) intitulée « Les élus dynastiques dans les parlements en Belgique ». En vue des prochaines élections, Jean-Benoît Pilet, politologue et membre de CEVIPOL, revient sur cette recherche de grande envergure sur les coulisses de la politique et le recrutement de son personnel.

Les chiffres sont unanimes, en 2019, le recrutement du personnel politique connaissait une situation similaire à celle du XIXe siècle. En effet, selon la vaste étude menée par Jean-Benoît Pilet et Jeremy Tojerow, jamais depuis cette époque le paysage de la politique n’avait été autant marqué par la présence de « filles et fils de » au sein de ses rangs. Un véritable retour en force des héritiers politiques depuis 20 ans. 

Jean-Benoit Pilet



De manière générale, les recherches de Jean-Benoît Pilet s’intéresse aux carrières politiques et aux recrutement du personnel politique, en particulier dans les Etats fédéraux. Il a étudié si les carrières politiques sont distinctes selon les niveaux de pouvoir ou si, au contraire, il existe une circulation des élites. « Cela m’a permis de comprendre les impacts de ces dynamiques sur la cohésion ou la séparation entre les niveaux de pouvoir », précise-t'il. En outre, Jean-Benoît Pilet a travaillé sur la féminisation des fonctions politiques, un sujet crucial pour la représentativité et l’égalité dans le monde politique : « En Belgique, par exemple, nous avons vu des progrès, mais il reste encore beaucoup à faire ».

Les dynasties politiques : une évolution significative 

Leur analyse a porté sur les parlementaires issus de ces dynasties politiques dans les différentes assemblées du pays, depuis la création de la Belgique en 1831 jusqu’en 2019. Ils remarquent qu’avec l’avènement du suffrage universel en Belgique, « la proportion d’héritiers politiques a diminué pendant des décennies » pour remonter de manière conséquente au cours de ces 20 dernières années. Au point que, au 21e siècle, les députés « fils et filles de » ont retrouvé l’importance qu’ils avaient à la fin du 19e siècle : sur 150 députés, la Chambre comptait alors 23 fils et filles de, un nombre record seulement égalé en 1888. Si cette proportion a diminué après la Seconde Guerre mondiale avec l’avènement du suffrage universel et la modernisation des partis politiques, on observe:  « une remontée significative du nombre de “fils et filles de” à partir de la fin des années 1990 et surtout au début des années 2000 »En 2003, la proportion de parlementaires issus de ces familles politiques était de 15,3 % à la Chambre. Lors des trois élections suivantes (2007, 2010 et 2014), cette proportion est restée au-dessus des 12 %. 

Une particularité belge ?

Si nous n’avons pas assez de recul actuellement pour évaluer la représentation des familles politiques au sein des élections actuelles, cette recherche met en évidence une caractéristique particulière de la politique belge qui n’avait jamais été quantifiée jusqu’ici. Jean-Benoît Pilet explique que ce sujet n’avait pas été systématiquement exploré en Belgique :« Nous avons constaté la présence de figures de proue, comme nos deux derniers Premiers ministres, qui sont fils d’anciens ministres ». Grâce à cette recherche, ils ont pu mettre en lumière la fréquence et l’évolution des dynasties politiques. Il serait intéressant de mener cette enquête au sein d’autres pays de l’Union européenne afin de comparer les chiffres et vérifier les spécificités de la Belgique sur ces questions.

Les raisons d'un tel phénomène

Pour expliquer cette remontée, plusieurs hypothèses ont été testées. Parmi celles-ci, l’idée que la féminisation des fonctions politiques pourrait favoriser la montée des dynasties. Cependant, cette hypothèse n’a pas été confirmée : « Nous avons également exploré l’impact de la médiatisation et des nouveaux partis, mais ces hypothèses ont été invalidées » explique Pilet. Il semble que la nature de la sélection des candidats à l’intérieur des partis pourrait jouer un rôle, bien que cela reste difficile à tester en raison de la nature fermée de ces processus.

Jean-Benoît souligne également souligné le rôle des électeurs et des médias dans ce phénomène : « Les électeurs ne rejettent pas ces candidats issus de dynasties politiques, et les médias ont tendance à parler davantage de ces figures, ce qui contribue à leur visibilité et à leur succès ».
En conclusion, Jean-Benoît Pilet a évoqué les implications normatives de ce phénomène : « Dans une démocratie, l’égalité d’accès aux fonctions politiques est essentielle. Si la compétition électorale devient fermée et favorise systématiquement les dynasties, cela pose un problème normatif sérieux ». Ce constat soulève des questions fondamentales sur le processus démocratique et électoral. Toutefois, Pilet souligne que cette tendance ne résulte pas de conspirations orchestrées par les partis politiques, mais découle d'une dynamique plus complexe. Les partis cherchent naturellement des candidats capables d'attirer l'attention des électeurs et des médias, et les héritiers politiques, souvent déjà connus du public et bénéficiant d'un réseau établi, répondent à ces critères.

Même si on pourrait voir cette situation comme un cercle vicieux où les dynasties politiques continueraient de prospérer, renforçant leur influence au détriment de nouveaux venus potentiellement tout aussi compétents, l'étude ne remet pas en cause ces pratiques mais y apporte un éclairage bienvenu. En outre, elle permet d'ouvrir le début sur la transparence dans le processus de recrutement et sur la diversité des profils au sein des instances politiques.