Publié le 8 avril 2021 Mis à jour le 8 avril 2021

Professeure à la Faculté de Droit et de Criminologie, Annemie Schaus est de-puis septembre à la tête de l’Université, et pour 4 années. Il s’agit de la seconde femme désignée à ce poste à l’ULB. Rencontre avec une rectrice jeune, éprise de libertés et aux ambitions progressistes, arrivée au rectorat dans un contexte inédit et complexe, celui du Covid.

Esprit libre: cette élection que vous avez emportée s’est déroulée dans un contexte difficile et inédit, celui de la pandémie. Que garderez-vous comme souvenir de ce moment particulier?

Annemie Schaus: la campagne pour l’élection est un exercice intéressant, qui permet d’avoir du recul sur soi-même, et qui a priori doit donner l’opportunité de développer ses projets autrement que par l’écrit, en allant à la rencontre de chacun... Mais dans le contexte sanitaire que l’on a connu, c’était vraiment éprouvant! Rester chez soi et participer aux débats via Teams est un exercice assez différent que de mener des conversations « in vivo ». J’ai clairement vu la différence entre les deux ; la visioconférence fige un peu les choses... Le plus compliqué fut d’être élue le 8 septembre, d’entrer en fonction le 14 en ayant une rentrée académique – et un discours à préparer – le 11. Il y a donc eu peu de temps de répit! Une rentrée exceptionnelle donc, combinée à un contexte qui l’est tout autant.

Esprit libre: Comment avez-vous constitué votre équipe?

Annemie Schaus: je voulais une équipe représentative des disciplines de l’ULB, celles liées à l’enseignement et la recherche ; je souhaitais aussi la parité des genres et c’est sans doute ce qui fut le plus compliqué : j’ai été étonnée de constater combien les femmes sont encore réticentes à exercer ce type de fonction. Je souhaitais par ailleurs éviter le côté « équipe de proches », ce qui explique aussi pourquoi j’ai constitué cette équipe après l’élection et pas avant... même si bien sûr j’avais quelques idées sur les profils qui pourraient être « sur ma longueur d’ondes ». Et je dois dire que je suis ravie de notre équipe ainsi constituée!

Esprit libre: Parmi les nouveautés, il y a un vice-rectorat au développement durable, que vous avez créé...

Annemie Schaus: Effectivement, il me paraissait important de marquer le coup, de donner une vraie impulsion à une thématique qui nous concerne toutes et tous. Nous devons analyser nos décisions en fonction du critère « développement durable ». Par exemple, prôner l’enseignement à distance n’est pas nécessairement un choix qui va dans le bon sens pour l’environnement. Mais vous l’aurez constaté, mon équipe est aussi marquée par la jeunesse ; j’ai voulu impliquer des étudiants pour être au plus près de leurs réalités.

Esprit libre: Les crises sont révélatrices de nos propres failles ou faiblesses. Mais elles mettent aussi en lumière nos forces vives et nos capacités de réaction. Comment avez-vous apprécié la capacité de réaction de notre communauté universitaire face à la situation de Covid?

Annemie Schaus: le premier moment de sidération qui était général a rapidement fait place à un mouvement de solidarités multiples parmi les différents corps de notre Université. Que ce soit les personnels soignants de notre réseau hospitalier, les actions de bénévolats d’étudiants pour les soutenir, mais aussi les différents projets de crowdfundings qui ont vite émergé et se sont mutipliés. Je dirais donc la solidarité, mais aussi, la contestation de certains collègues sur le fait de devoir donner les enseignements en distanciel, par exemple. Car il faut pouvoir entendre et associer aux décisions les personnes qui font vivre l’Université. En matière de santé, un des projets forts qui se développe actuellement avec le vice-recteur à la Recherche Marius Gilbert, avec nos scientifiques et nos étudiants, concerne les retours effectifs sur campus. Nous souhaitons qu’ils se fassent à la fois dans les meilleures conditions sanitaires mais aussi en prenant en compte les réalités et suggestions de chacun, grâce à une action collective de réflexion. Par contre, cette crise a accentué la fracture sociale via une fracture numérique qui pénalise des étudiants déjà souvent précarisés par ailleurs.

Esprit libre: Lutter contre la précarité étudiante est aussi un des axes prioritaires de votre mandat?

Annemie Schaus: Oui. Parmi les axes prioritaires du plan stratégique ULB Cap 2030, il y avait la réussite pour toutes et tous. L’inégalité sociale se marque déjà dès le choix de l’école secondaire. À l’Université, un tiers de nos étudiants a besoin d’aide sociale ; c’est énorme. Le challenge va être de continuer à soutenir les étudiants non seulement financièrement défavorisés, mais aussi ceux qui ne sortent pas nécessairement des meilleures écoles du secondaire. Il faut rehuiler l’ascenseur social et j’y travaille avec la vice-rectrice à l’Enseignement Nadine Postiaux et nos conseillers à la réussite et à l’enseignement. Les idées ne manquent pas!

Esprit libre: quel est votre regard sur l’évolution, notamment technologique, à promouvoir dans les pédagogies d’enseignement?

Annemie Schaus: l’innovation pédagogique est une priorité absolue. Mais cela dit, le numérique doit rester un outil et ne remplace pas l’enseignement en présentiel. Par ailleurs favoriser la vie sur nos campus fait intrinsèquement partie de notre rôle en tant qu’université. Elle est nécessaire pour développer le vivre ensemble, elle est impérative pour développer l’esprit critique et l’engagement de nos étudiants. La technologie doit nous aider à enrichir l’enseignement présentiel, pas le faire disparaître.

Esprit libre: et en matière de recherche quelles sont vos priorités?

Annemie Schaus: la défiscalisation de toute la recherche est un des points-phare de mon programme (actuellement seuls les assistants et postdocs sont défiscalisés). Nous y travaillons depuis plusieurs mois. C’est une piste pour refinancer une partie de la recherche. Il y a aussi permettre d’engager plus de logisticiens. Les labos qui ont la chance de bénéficier de ce type de profils, ont en général de meilleurs chances d’obtenir des financements extérieurs, et cela permet aussi de soulager les chercheurs de tâches plus administratives. Je souhaite également développer les « actions blanches » : tenter de financer des projets de recherche basés sur des idées nouvelles et créer une dynamique vertueuse pour relancer la recherche fondamentale.

Esprit libre: l’année thématique est consacrée aux « citoyennetés digitales ». Vu l’actualité récente (notamment l’élection présidentielle aux USA, avec ses dérives et la crise sanitaire par ailleurs), pensez-vous que nous sommes à un moment-charnière pour les droits de l’homme et la démocratie en général?

Annemie Schaus: par définition, les droits de l’homme sont un combat permanent, perpétuel. Avec la crise sanitaire, ça l’est encore plus. Nos libertés fondamentales n’avaient plus souffert autant depuis la Seconde guerre mondiale. Ce qui m’inquiète c’est que les mesures dérogatoires liées à la crise sanitaire soient coulées dans le droit commun. Nous devons y être très attentifs. L’autre danger, c’est de s’habituer à la restriction de nos droits. Et là encore, la jeunesse doit y être attentive et réagir... La question du numérique et des droits est fondamentale. Nous souhaitons également que l’Université travaille à la question du populisme en développant des projets qui le combattent. Un grand projet collaboratif que nous développons actuellement avec Marius Gilbert concerne justement la « complexité ». Un appel aux talents a récemment été lancé vers toute la communauté universitaire en ce sens. Nous souhaitons réactiver la culture du débat en abordant de façon moderne des questions qui nécessitent des réponses affinées et subtiles, en luttant contre les réponses simplistes, les fakenews et les manipulations qui passent souvent par le digital. Vous aurez l’occasion d’en entendre parler dans les mois qui viennent. Il s’agit aussi de remettre le libre examen au cœur des débats, de le faire vivre. Nous y travaillons aussi avec notre université sœur, la VUB, avec la volonté de remettre l’Université au cœur de la cité en allant vers les habitants de notre région.

Esprit libre: le spectre des actions à mener sur un mandat est assez large et il est difficile d’aborder tous les sujets ici, mais s’il ne fallait en citer qu’un, quel est l’autre chantier « plus prioritaire que d’autres » pour vous ?

Annemie Schaus: la culture, indéniablement ! Là encore l’université dans la cité est un projet que nous continuerons de porter. Mais je pourrais vous citer également comme sujet « le bien-être du personnel » : nous travaillons à décloisonner les corps qui composent l’université en réfléchissant à une autre organisation du travail et en travaillant plus de façon transversale, en fluidifiant et en diminuant les charges de travail. C’est un des autres chantiers prioritaires... parmi d’autres !

Alain Dauchot