Publié le 15 septembre 2025 Mis à jour le 15 septembre 2025

Le 19 septembre 2025, à l’occasion d’une rentrée académique placée sous le signe de la lumière, l’ULB mettra à l’honneur, entre autres, l’un de ses anciens étudiants, Denis Van Weynbergh. Premier Belge à avoir bouclé le Vendée Globe, ce marin, devenu pédagogue engagé, trace un sillage entre pensée, engagement et transmission. Chez lui, la mer prolonge l’expérience universitaire.

Il est parti seul, le 10 novembre 2024, sur un bateau d’ancienne génération, pour un tour du monde sans escale ni assistance. Dans son sac, une vieille penne aux couleurs délavées — souvenir d’un étudiant en science politique et journalisme à l’ULB. Une voile au vent, une mémoire en bandoulière.

Pendant 117 jours, Denis Van Weynbergh a affronté vents, houle, fatigue, avaries. La mer comme épreuve, la solitude comme compagne. « Je n’ai jamais autant pleuré ni fait autant de crises de nerfs que durant ces trois derniers mois », confie-t-il. L’océan Indien, qu’il décrit comme « méchant et vicieux », lui a appris à accueillir la peur sans honte, à en faire une précieuse conseillère plutôt qu’un fardeau. Chaque jour, il persévère et apprend. Tour à tour impressionné, stressé, parfois au bord de la panique, il reste en mouvement. Car il faut faire avancer le bateau.

Tout au long de cette aventure aux confins des océans et de ses propres limites physiques et mentales, il s’est nourri de ce qu’il portait avec lui : le goût du questionnement, et cette ligne intérieure qu’on apprend à tracer quand on a appris à chercher.

Avant de devenir skipper professionnel en 2017, Denis fut logisticien et chef d’entreprise. Connaisseur de cette course mythique qu’il a couverte pour la presse belge, il décide, en 2020, d’y participer. Mais faute de budget, il renonce à ce premier départ. Pourtant, dès 2021, il rebondit et refonde son projet sur des bases collaboratives, privilégiant les circuits courts et la réutilisation de pièces usagées. Il s’appuie sur une équipe de fidèles bénévoles et obtient le soutien financier nécessaire grâce à un partenaire belge solide, convaincu par sa ténacité. Ce chemin long et sinueux préfigurait déjà l’endurance qu’exigerait la traversée.
 

De son passage par notre Université, il garde des principes cardinaux, comme une boussole: l’esprit critique, le lien entre savoir et action, la fidélité au temps long et le sens du collectif. Le Vendée Globe, il l’a abordé comme une recherche rigoureuse, construite pas à pas.

Entre l’équateur et le cap de Bonne-Espérance, il revoit son plan de route : au lieu des douze étapes prévues, il en établit quarante, qui lui permettent d’avancer sans cesse malgré l’immensité. Écouter le silence autant que le vent. Tenir le cap, non par certitude, mais par constance.

En mer, comme souvent, rien ne se passe comme prévu. Une girouette en panne, une pièce de rechange qui ne fonctionne pas: Denis fabrique une tête de girouette avec du tape, du câble et de l’intuition. Une « bricole à la belge », qui fera le tour du monde. Naviguant comme « un père de famille nombreuse », il adopte une stratégie raisonnable, conscient de ses limites techniques. Évitant les zones risquées, il préfère allonger la route plutôt que de forcer la chance. Au cap Horn, qu’il espérait depuis six ans, il passe de nuit, vent de face. Il ne le voit pas. Il plaisante : « J’y retournerai, mais à terre. Je planterai ma tente et j’y ferai un barbecue. »

Il rit, mais c’est le rire de celui qui a franchi l’invisible. La fin de course est rude, les avaries s’enchaînent. La drisse casse, faisant chuter la grand-voile. Une poulie éclate. Il grimpe pour la troisième fois au mât, appelle des cargos pour sécuriser sa route. Privé de vent, son bateau recule — littéralement. « Une vraie histoire belge », sourit-il. Et pourtant, même aux limites de l’abandon, il ne lâche rien.

À l’arrivée, le 8 mars 2025, il ne se contente pas de franchir la ligne. Il transmet ce que la mer et les livres lui ont appris : avancer avec méthode, faire du doute un allié, composer avec l’imprévu. En embarquant des jeunes en difficulté ou porteurs de handicap dans des projets de voile solidaire, il fait de la navigation un espace d’écoute, de confiance, de dépassement. Une école autrement. Une pédagogie du réel qui invite à hisser les voiles, plutôt qu’à subir le vent. Dans un monde tempétueux où nos repères vacillent, l’itinéraire de Denis Van Weynbergh incarne une lucidité active, forgée dans les tempêtes comme dans les bibliothèques. Une lumière construite patiemment. Profondément libre.

Raphaël Nouveau