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12 mois 12 experts | Plus chauds que le climat!
Mars 2019: première grève mondiale pour le climat
"Chauds, chauds… on est plus chauds que le climat !" : le 15 mars 2019, 30 000 personnes défilent dans les rues de Bruxelles à l’occasion de la première "grève mondiale pour le climat". Encouragés par l’exemple de Greta Thunberg, les écoliers belges désertent les bancs d’école au profit de la rue durant de nombreux jeudis de cette année 2019. Citoyens, ONG, jeunes, moins jeunes… Tous réclament des actions et une politique climatique claire et ambitieuse. Un appel entendu, mais qui doit être traduit en actes aujourd’hui.
Marches climat, grèves climat, plans climat… Alors que les experts internationaux du GIEC alertent sur le réchauffement climatique depuis 1990, leur appel ne semble jamais avoir eu plus d’écho que depuis l’automne 2018. Comment expliquer cette mobilisation « soudaine » ? Remontons de quelques mois dans le temps…
Message limpide et contexte favorable
Été 2018 : la canicule frappe l’Europe de l’Ouest. Fin août, Nicolas Hulot annonce sa démission du poste de Ministre de la Transition écologique et solidaire – mettant en cause le manque de volonté du gouvernement français à agir résolument en faveur de l’écologie. Octobre : le nouveau rapport du GIEC alerte sur les difficultés à respecter la cible de 1,5°C, avec de gros dangers en vue. Il est loin l’espoir suscité par la Conférence de Paris sur les changements climatiques (COP21) de 2015 !
En 2019, les impacts du changement climatique sont plus visibles, directement et dans l’espace médiatique, tandis que le message devient limpide : non, les choses ne sont pas sous contrôle, et il est urgent d’agir !
On peut y voir un élément déclencheur des mobilisations observées tout au long de cette année. Un facteur frappant est aussi la mobilisation des influenceurs du web, avec la diffusion virale de clips sur les réseaux sociaux, ciblant avant tout les jeunes. Outre leur rôle de caisse de résonance, les réseaux sociaux permettent une « démocratisation de la mobilisation », facilitant une coordination à l’échelle d’un groupe social, d’une ville ou d’un pays, même hors d’organisations existantes. Un constat valable également pour d’autres mobilisations récentes, comme celle des Gilets jaunes ou des mouvements contestataires du Liban ou de Hong Kong.
Justices sociale et climatique
Malgré cette démocratisation de la mobilisation, les élèves de catégories socio-économiques favorisées sont plus nombreux à manifester, de même que ceux de l’enseignement général par rapport à l’enseignement technique. Dans les manifestations de différents pays européens, les jeunes filles sont majoritaires. Et les personnes diplômées sont aussi plus enclines à y participer. Toutefois les ONG et stratèges de la mobilisation climatique réfléchissent particulièrement à la manière d’allier justice climatique et justice sociale, afin de rallier toutes les couches de la population autour de convergences.
L’enjeu est également de relancer l’intérêt médiatique et populaire : l’enthousiasme manifesté par les écoliers semble en effet un peu retombé depuis l’été 2019. Les manifestations des étudiants belges cherchent un nouveau souffle, la place médiatique – toujours friande de nouveautés – s’est tarie, tandis que des mouvements plus radicaux comme « Extinction Rebellion » lancent des actions de désobéissance civile dans différents pays.
Déclarations d’intention
Même si les demandes de reconnaitre « l’urgence climatique » semblent à beaucoup de manifestants loin d’être entendues par les politiques, on peut tout de même constater que leur mobilisation a bien eu des effets durant le premier semestre 2019.
En Belgique, la présence du thème du climat dans les programmes et débats politiques en vue des élections fédérales de mai 2019 était sans précédent. Ainsi, le nouveau gouvernement bruxellois fraîchement élu a également élaboré un programme ambitieux de baisse des émissions de gaz à effet de serre, mettant sur le tapis des questions liées à la circulation automobile ou à l’isolation massive de bâtiments urbains par exemple. En Europe également, la nouvelle Présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen ambitionne de faire de l’Europe "le premier continent à atteindre la neutralité climatique".
Du consensus aux clivages traditionnels
Il faudra cependant transcrire ces paroles en actes. La mise en place de certaines actions politiques concrètes risque dès lors de briser le soutien général, mais vague, à ces orientations : de certaines actions peuvent découler des conflits de position, transformant l’enjeu consensuel du climat en enjeu politique « comme un autre », plus proche de la mécanique politique traditionnelle.
On observe déjà par ailleurs quelques signes d’un vote réactionnaire ‘anti-climat’ dans plusieurs pays européens.
En témoignent, par exemple, à droite de l'échiquier politique, la montée du parti populiste FvD au Pays-Bas ou la percée de partis extrémistes comme l’AFD en Allemagne. Ces partis s’opposent à des mesures climatiques ambitieuses, même si ce vote n’est évidemment pas motivé par ce seul thème. En se positionnant comme des « climato-réassureurs », des partis belges comme la NVA et le VB s’opposent également à un changement drastique de la société suscité par les enjeux climatiques. De plus, le climat devient parfois aussi dans certains discours un argument justifiant la fermeture des frontières face à la crainte envers des réfugiés climatiques...
La question climatique rebat donc en partie les cartes des enjeux politiques traditionnels, ce qui est le signe finalement qu’elle est prise au sérieux. Mais, alors que l’urgence climatique appelle à des réactions rapides, les mises en place politiques se feront à l’échelle de plusieurs années et s’accompagneront de certains clivages dans la société, que le politique devra gérer. Verra-t-on un réveil des manifestants « plus chauds que le climat » ? L’avenir nous le dira, mais l’année 2019 a définitivement montré que ces mobilisations ont pu avoir une influence.
Article écrit par Edwin Zaccai et Natacha Jordens
L'expert: Edwin Zaccai
Edwin Zaccai est le fondateur et directeur du Centre d'Etudes du Développement Durable (CEDD), relié à l'IGEAT (Faculté des Sciences). Ses recherches et enseignements portent sur différents aspects du développement durable touchant aux transformations des sociétés sous l’effet des questions environnementales.
edwin.zaccai@ulb.ac.be
@CEDDurable
Tous ses articles sur The Conversation France.