A quelle étape interviendrait l'intelligence artificielle (IA) dans l'apprentissage des compétences de la lecture ?

Fabienne Chetail : La lecture fait intervenir un grand nombre de processus qui vont de la capture de l'information, lorsque nos yeux se posent sur une phrase ou un mot, à la reconnaissance de leur sens par notre cerveau. Pour parvenir à lire et à écrire, il faut donc mobiliser les connaissances de base, à savoir : bien décoder les mots. Cette première étape de l'apprentissage correspond à l'acquisition du principe alphabétique. Comprendre que les phonèmes - les sons du langage - correspondent aux graphèmes - les groupes de lettres qui codent pour l'oral - et apprendre les correspondances entre les deux ne sont pas une évidence : le "an" se prononce bien différemment entre "vacances" ou "anniversaire" ! C’est un apprentissage intense, qui nécessite beaucoup de répétition.

Quels seraient les atouts de l'IA ?

Fabienne Chetail : Il existe déjà des programmes basés sur l'IA dédiés à l'apprentissage humain. Deux composantes en ressortent selon moi : d'abord, la possibilité d'obtenir un feedback, un retour sur son apprentissage, immédiat. Pour l'apprenant, être corrigé dans la foulée de son erreur, est un avantage indéniable. Plusieurs travaux scientifiques ont déjà mis en avant l'effet bénéfique du retour immédiat dans le renforcement de l'efficacité de l'apprentissage.

L'autre élément positif de ces programmes : les parcours d'apprentissage adaptatifs. Dans un monde idéal, les enseignants seraient au-dessus de l'épaule de chaque élève pour les corriger et leur donner des exercices spécifiques. La réalité en classe est bien différente et c'est ce que l'IA pourrait pallier. Via les exercices proposés sur tablette par exemple, le programme peut enregistrer automatiquement les erreurs commises et s'adapter, là aussi en temps réel, de sorte qu'il peut planifier des séquences d'apprentissage individualisées.

Ces deux composantes centrales - le feedback immédiat et la notion d'analyse personnalisée - sont les principaux points positifs de l'incrémentation des programmes informatiques dans l'apprentissage de la lecture et de l'écriture.

De là à reléguer les professeurs au poste d'informaticien ?

Fabienne Chetail : L'IA est un outil, pas un professeur… Des études ont été réalisées pour déterminer comment l'enfant intègre des compétences selon qu’il est seul devant un écran face à un programme éducationnel ou accompagné d'un adulte qui vient interagir avec lui. Comme pour la lecture partagée, qui vise à lire une histoire à l'enfant tout en lui posant des questions, l'interaction est absolument essentielle dans le bon apprentissage de compétences nouvelles.

Des études ont également montré qu'il y a certes un effet bénéfique lorsque l'enfant interagit avec un agent conversationnel, mais qu'avec un "vrai" humain, l'enfant va développer des productions orales plus fournies, un vocabulaire plus diversifié et concordant avec le thème de l'histoire. La présence humaine est donc essentielle. Par conséquent, oui, nous pouvons entraîner et améliorer la pratique ou l'apprentissage de la lecture et de l'écriture avec des programmes basés sur l'IA, ce qui se fait et se fera d'ailleurs de plus en plus, mais aller jusqu'à tout faire reposer sur ces programmes ne me semble pas être une bonne chose : il ne faut pas déresponsabiliser les professeurs, qui ont un rôle crucial dans cet apprentissage réflexif, et mettre de côté les échanges sociaux et émotionnels autour de la lecture dont on sait qu’ils ont un impact bénéfique. En classe, l'IA n'est qu'un outil parmi d'autres, avec ses avantages et ses inconvénients. 
 

Marie Thieffry