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Avril|Cartographier la terre sous le prisme de l’ammoniac

Publié le 15 novembre 2023 Mis à jour le 9 janvier 2024

22 avril, journée mondiale de la terre. Avec son équipe du laboratoire Squares, Pierre Coheur cartographie depuis 15 ans les concentrations d’ammoniac partout sur la planète. L’ammoniac contribue à la pollution de l’air et, à terme, à différentes problématiques environnementales globales.

Quelles sont les spécificités de l’ammoniac ?

Pierre Coheur : Ce composé azoté a un temps de résidence dans l’atmosphère très court, de quelques heures seulement. Cela signifie que les variations de concentration sont très fortes, autant dans le temps que dans l’espace. Il est donc très compliqué de suivre ces variations avec des mesures prises au sol. Nous avons produit en 2009 la première cartographie à partir de données satellitaires : pour tous les gens qui travaillaient sur les problématiques environnementales liées à l’ammoniac, c’était une nouvelle vue sur les principales zones d’émission. En 15 ans, ces mesures satellitaires sont devenues un élément central dans la surveillance globale de ces zones. Nous sommes très chanceux car en 2025, nous allons pouvoir travailler avec de nouveaux instruments satellitaires qui vont permettre d’augmenter les performances d’un facteur 2 mais aussi d’obtenir des données environ toutes les demi-heures. Ça sera une grande avancée. Ce qui manque encore, c’est la très grande résolution spatiale pour appréhender des processus sur des plus petites échelles, de l’ordre de 500 mètres.

Quelles sont les zones du globe les plus touchées ? Cette concentration est-elle strictement corrélée aux cultures agricoles ?

Pierre Coheur : Il y a d’autres éléments. Nous avons mis en évidence une forte concentration dans des grandes régions, comme le nord de l’Inde, la Chine et, en Europe, la partie Hollande-Belgique-Allemagne. Ce qui est plus surprenant, c’est la visualisation des concentrations dans les zones tropicales où la source est en partie différente, liée à des feux d’origine agricole, comme le brûlis. En moyennant nos données sur plusieurs années, nous avons aussi pu identifier des sources ponctuelles, comme des industries – essentiellement de fabrication de fertilisants – ou bien d’énormes complexes agricoles, notamment dans l’élevage de bétail intensif.

Comment cette cartographie a-t-elle évolué en 15 ans ?

Pierre Coheur : Les concentrations sont à la hausse un peu partout, aux États-Unis, en Europe et en Chine, alors que les réglementations en vigueur sur les émissions auraient dû mener vers une diminution... Au niveau européen, les pays doivent rapporter et tenir leurs engagements en termes d’émission : c’est tout le problème de la crise azotée qu’on a connue au niveau du gouvernement flamand mais qui a lieu aux Pays-Bas depuis plusieurs années.

Les données que vous récoltez sont-elles prises en compte dans les politiques environnementales ?

Pierre Coheur : L’impact de l’azote sur la qualité de l’air est très rapide. Entre 30 et 50 % des particules fines en Europe proviennent des émissions de composés azotés. Mais comme chaque composé se transforme en d’autres composés, la déposition de l’ammoniac dans les écosystèmes est aussi très néfaste à plus long terme. Elle a un impact sur la qualité des eaux de surface et des sols et, in fine, sur notre climat. C’est ce qu’on appelle la cascade de l’azote. Notre travail est surtout de comprendre les processus en termes d’émission, de transformation et de transport dans l’atmosphère et de déposition. Nous espèrons évidemment que nos données seront utiles : elles ont déjà des retentissements dans plusieurs groupes qui, au niveau international, s’intéressent à la manière de mettre en place un management durable des ressources en azote.

Julie Luong