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«Bruxelles est la matrice de mon imagination»: François Schuiten, Docteur Honoris Causa 2025, nous parle de son amour pour Bruxelles
Le 4 décembre 2025, la VUB et l’ULB ont décerné le titre de Docteur·e honoris causa à plusieurs voix culturelles remarquables qui incarnent, décrivent ou imaginent Bruxelles de manière exceptionnelle. Le musicien Stromae, les écrivain·es Lize Spit et Amélie Nothomb, ainsi que les illustrateurs Ever Meulen et François Schuiten ont chacun, dans leur domaine, apporté une contribution puissante au récit urbain, social et culturel de Bruxelles. L’illustrateur François Schuiten explique pourquoi cette ville fait battre son cœur.
Auteur de bandes dessinées, scénographe et architecte visionnaire, François Schuiten compte parmi les plus grands artistes du pays. Il est né à Bruxelles, une ville impossible à résumer en une phrase. « C’est une ville à multiples visages. Elle est complexe. Elle n’est pas toujours facile à saisir. Pour comprendre Bruxelles, une vie ne suffit pas. »
Bien qu’il partage aujourd’hui sa vie entre Paris et Bruxelles, l’artiste reste profondément attaché et reconnaissant à sa ville natale. « C’est là que je suis né, artistiquement aussi. J’ai réalisé des livres sur Bruxelles ; j’ai dessiné cette ville sans relâche. Bruxelles est une sorte de creuset, la matrice de mon imagination. »
Au fil des ans, Schuiten a contribué à de nombreux projets dans et autour de la capitale. Certains lui tiennent tout particulièrement à cœur. « J’ai puisé une immense inspiration dans le Palais de Justice de Bruxelles, où je m’investis au sein de la Fondation Joseph Poelaert, qui s’est battue pour que le bâtiment soit correctement entretenu et restauré. Ce palais m’a toujours fasciné : son histoire, ses défis, ses difficultés, son abandon… Mais aujourd’hui, il renaît enfin. »
La rénovation et la revalorisation de la Maison Autrique, l’une des premières réalisations de Victor Horta, ont également joué un rôle essentiel dans son œuvre, tout comme la création de Train World, le musée national du rail à Schaerbeek. « J’y ai travaillé une quinzaine d’années comme concepteur, scénariste et scénographe, et j’y ai organisé de nombreuses expositions majeures avec Expo Duo et le patrimoine de la SNCB. Bruxelles est intimement liée à mon travail. Et l’inverse est tout aussi vrai. »
Qu’est-ce qui distingue Bruxelles des autres grandes villes ? Qu’est-ce qui la rend unique ? « C’est une ville qui vous désoriente, qui vous semble un peu étrange ; on ne la comprend pas immédiatement. Mais c’est aussi une ville qui offre des possibilités infinies de collaborations créatives. Bruxelles est chaotique. Bruxelles est hybride. Elle s’est construite sous des influences néerlandaises, françaises, anglaises, espagnoles… ce qui en fait un terrain idéal pour inventer de nouveaux récits et de nouveaux mondes. Aujourd’hui encore, Bruxelles est traversée par des cultures multiples, ce qui la rend d’autant plus inspirante. Elle possède aussi une dimension unique, trop peu mise en valeur selon moi : un caractère surréaliste, expressionniste, fantastique. Et je lui dois beaucoup. »
« C’est une ville qui vous désoriente, qui vous semble un peu étrange; on ne la comprend pas immédiatement. »
Aujourd’hui encore, Schuiten aime trouver de nouvelles sources d’inspiration dans « sa » ville. « Je me promène beaucoup dans Bruxelles avec mon chien. Pour moi, c’est la façon idéale de continuer à découvrir la ville, de la comprendre. Avant, j’habitais à Schaerbeek, près du magnifique parc Josaphat ; aujourd’hui, je vis à Forest et je me balade plutôt dans ce parc-là. Le dialogue entre la ville et la nature me fascine. Et je ne parle pas seulement des grands parcs : il y a aussi cette multitude de petits jardins disséminés dans Bruxelles. Ils forment souvent de véritables îlots de verdure. Pour moi, ils contribuent fortement au caractère singulier de la ville. »
Avez-vous encore des rêves à réaliser à Bruxelles ? « L’année prochaine sera inaugurée une grande œuvre — réalisée avec Pierre Matter — près du pont Van Praet. C’est une combinaison entre une ancienne locomotive diesel et une structure métallique en forme de baleine. L’emplacement est symbolique : juste à l’une des principales portes d’entrée de Bruxelles, au bord du canal. Elle devrait devenir un repère artistique pour les Bruxellois·es, les navetteurs et les voyageurs. Ce projet démontre encore une fois que Bruxelles reste un lieu idéal pour créer et présenter des œuvres dans des emplacements privilégiés. J’espère simplement que notre capitale accordera davantage de reconnaissance aux jeunes talents, qui sont bien présents ici. À mes yeux, cela manque encore aujourd’hui. »
Propos recueillis par Liesbeth Van Cauwenbergh (VUB).