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Des variables délocalisées dans le temps allant à l’encontre des inégalités causales

Publié le 21 mars 2023 Mis à jour le 22 mars 2023

Une équipe de chercheurs a montré pour la première fois qu’un type exotique de processus violant les inégalités de causalité peut être réalisé en accord avec les lois de la physique telles qu’on les connait. La violation d'une inégalité causale prouve, sous des hypothèses indépendantes de la théorie considérée, que certaines variables d'une expérience ne peuvent pas être classées dans un ordre causal bien défini. Il s'agit d'un phénomène dont on savait qu'il était possible en théorie, mais dont on pensait généralement qu'il était impossible en pratique.

Le concept de causalité est essentiel pour la physique et pour notre compréhension du monde en général. Habituellement, nous considérons que les événements se produisent dans un ordre causal bien défini. En d'autres termes, ils sont ordonnés en fonction d'un paramètre temporel, de sorte que les événements passés peuvent influencer les événements futurs, mais pas l'inverse. Par exemple, le lever du soleil provoque le chant du coq, mais le fait que le coq chante ou non n'a aucune influence sur le lever du soleil.

Ces dernières années, la question de savoir ce qu'il advient de cette notion conventionnelle de causalité lorsque la théorie quantique entre en jeu a suscité un intérêt croissant. L'un des principaux résultats dans ce nouveau domaine a été la découverte de processus hypothétiques qui peuvent produire des corrélations violant ce que l'on appelle les inégalités causales, ce qui impliquerait l'absence d'ordre causal entre certaines variables dans une expérience, de manière similaire à la façon dont la violation des inégalités de Bell implique qu'aucun modèle local de variable cachée ne peut expliquer les observations. Mais si la violation d’une inégalité de Bell exclue les explications causales classiques de certaines corrélations, les variables observées dans une expérience de Bell respectent toujours la structure causale de l'espace-temps en ce sens qu'elles ne permettent pas de s’influencer mutuellement plus rapidement que la lumière. La violation d’une inégalité causale, en revanche, implique que certaines variables observées ne peuvent en principe pas être ordonnées causalement, puisque certaines de ces variables sont en quelque sorte à la fois dans le passé causal et dans le futur causal l'une de l'autre.

Malgré des progrès significatifs dans ce domaine de recherche, la question de savoir si les processus violant les inégalités causales peuvent être réalisés dans les régimes de la physique connue est restée un problème central ouvert. Bien que certains processus causalement indéfinis soient connus pour admettre des implémentations expérimentales en conditionnant le temps de réalisation des différents événements par des variables quantiques en superpositions, ces processus ne peuvent pas violer les inégalités causales, qui sont une forme beaucoup plus forte, et indépendante de la théorie, de l'indétermination causale. En raison de leurs propriétés hautement contre-intuitives, les processus violant les inégalités causales étaient généralement considérés comme impossibles avec la physique telle qu’on la connait.

Julian Wechs et Ognyan Oreshkov, chercheurs F.R.S.-FNRS à l'Université libre de Bruxelles, et Cyril Branciard, chercheur CNRS à l'Institut Néel de Grenoble, ont montré que certains processus violant les inégalités causales peuvent en fait être réalisés dans les régimes de la physique quantique standard, sur ce que l'on appelle des sous-systèmes délocalisés dans le temps. Il s'agit de systèmes physiques définis par des observables qui sont délocalisées à différents instants du temps, de la même manière que l'information quantique peut être délocalisée dans l'espace, par exemple dans les codes correcteurs d'erreurs quantiques. Le concept a été introduit pour asseoir sur des bases rigoureuses l'affirmation selon laquelle les précédentes mises en œuvre expérimentales de processus causalement indéfinis constituent de véritables réalisations du concept théorique. Les chercheurs ont maintenant trouvé une nouvelle façon de délocaliser les sous-systèmes qui rend possible la mise en œuvre d'une classe inattendue de processus causalement indéfinis, dont certains exemples très frappants qui violent les inégalités causales. Ils ont décrit une réalisation potentielle de l'un des processus les plus contre-intuitifs connus - le processus dit de Lugano, découvert par Mateus Araújo, Adrien Feix, Ämin Baumeler et Stefan Wolf - qui est, étonnamment, classique et déterministe, décrivant des dépendances causales cycliques entre trois parties, semblables à celles attendues dans des courbes temporelles fermées.

Les conséquences de ce résultat pour notre compréhension du temps restent à élucider. Peut-il y avoir des observateurs pour lesquels le temps s'écoule d'une manière qui correspondrait aux relations causales cycliques dans ce type de processus, et cela pourrait-il donner des indications sur le comportement de l'espace-temps dans des régimes où la théorie quantique et la relativité générale deviennent toutes deux pertinentes ? Au-delà de son importance pour la physique fondamentale, les chercheurs espèrent que ce résultat pourrait donner lieu à de nouvelles applications dans le traitement de l'information qui exploiteraient des variables délocalisées dans le temps.
 

Crédit image : Elegant Solution / Shutterstock.com