Au pouvoir depuis 2012, le parti du Rêve géorgien vise une réélection et a dernièrement accéléré de manière exponentielle le recul démocratique du pays. Le gouvernement s’est ouvertement autocratisé, dans le courant 2024, en introduisant plusieurs initiatives législatives menaçant la société civile, la liberté des médias, les droits des personnes LGBT+ et l’intégrité des élections.
Promotion d’un agenda antilibéral : la campagne électorale du Rêve géorgien
Le parti a entamé l’année électorale 2024 avec un regain d’attention et de détermination pour faire avancer son agenda antilibéral. Malgré les manifestations au printemps 2024, il a réintroduit et adopté la loi sur les « agents étrangers » qui menace l’espace civique. Il a adopté une loi anti-LGBT+ qui prévoit diverses mesures homophobes et transphobes, telles que l’imposition de la censure dans les médias, l’interdiction de la chirurgie de réassignation de genre et du changement de genre sur les documents d’identité, l’interdiction de l’adoption d’enfants par des couples non hétérosexuels, ou celle du mariage entre personnes de même sexe – même si celui-ci n’a jamais été légal en Géorgie. Cette année, le parti a modifié le code électoral à plusieurs reprises, faisant l’objet de critiques selon lesquelles il affaiblirait l’indépendance de la commission électorale centrale, l’organe électoral du pays.
Outre ces mesures législatives, le Rêve géorgien a fait la promotion de récits hostiles, alimentant davantage la polarisation dans le pays. Il a redoublé sa théorie de la conspiration qui dure depuis près de deux ans, affirmant être le seul garant de la paix en Géorgie contre les forces extérieures et intérieures qui veulent entraîner le pays dans la guerre. Annonçant qu’il chercherait à obtenir une majorité constitutionnelle pour interdire les partis d’opposition, le parti a diffusé des messages homophobes qui alimentent la haine à l’égard des minorités sexuelles déjà marginalisées dans le pays. Et il a récemment annoncé une nouvelle procédure de destitution à l’encontre de la présidente Salomé Zourabichvili, qui continue de s’opposer au glissement de la Géorgie vers l’autocratisation.
En revanche, les réflexions indispensables pour trouver des solutions aux principaux problèmes de la société géorgienne, notamment les questions sociales et économiques et le nombre croissant de Géorgiens désireux d’émigrer ont été largement absentes des discussions préélectorales.
La Géorgie au bord de l’isolement international ?
Dans ce contexte de recul démocratique accéléré, les relations de la Géorgie avec ses partenaires occidentaux ont atteint un niveau sans précédent. Les États-Unis et l’Union européenne ont tous deux réagi à la détérioration de l’ordre démocratique du pays. Washington a suspendu une aide financière d’environ 95 millions de dollars au gouvernement géorgien. Le 16 septembre, il a également annoncé des sanctions à l’encontre de 60 personnes, dont de hauts fonctionnaires, pour avoir contribué à ces atteintes à la vie démocratique.
Un an à peine après avoir officiellement reçu le statut de candidat à l’adhésion à l’UE, la Commission européenne a annoncé qu’en raison de ce recul, la Géorgie était sur le point de perdre 121,3 millions d’euros d’aide financière. L’UE a également suspendu les réunions de haut niveau avec les autorités géorgiennes.
Le 9 octobre dernier, le Parlement européen a adopté une résolution sur le pays, soulignant la grande inquiétude suscitée par la progression du tournant autoritaire. Il réitère son appel à imposer des sanctions individuelles ciblées à l’encontre de son seul oligarque, et fondateur du parti Rêve géorgien, Bidzina Ivanichvili, qui participe actuellement à la campagne préélectorale. Dans l’état actuel des choses, l’intégration européenne de la Géorgie est en suspens, et ses relations avec les États-Unis en cours d’examen.
Les élections en Géorgie auront des répercussions plus larges
Les prochaines élections sont donc cruciales pour l’avenir démocratique et européen du pays, mais elles ont aussi des implications plus larges pour l’ensemble de la région.
Le résultat des élections pourrait soit renforcer, soit affaiblir l’emprise de la Russie sur la région. Avec la guerre à grande échelle en cours contre l’Ukraine, s’assurer de titulaires favorables à Moscou dans d’autres pays de la région est une priorité essentielle pour la Russie. Le Kremlin a surveillé de près l’évolution de la situation géorgienne cette année. Il a salué la réintroduction de la loi sur les « agents étrangers » au début de l’année, et a accusé l’Occident, en particulier, les États-Unis de planifier l’ingérence dans les prochaines élections d’octobre. Moscou a également exprimé sa volonté de rétablir des relations autrefois tendues avec la Géorgie et a même, plus récemment, étendu le régime d’exemption de visa aux citoyens géorgiens. En d’autres termes, alors que le Kremlin mène une offensive en Ukraine, il étend simultanément son influence en Géorgie.
Le résultat des élections aura également des répercussions sur la position de l’Union européenne dans la région. Le récent et étonnant revirement de la politique étrangère géorgienne à l’encontre de l’UE est un coup dur pour le pouvoir de transformation de cette dernière dans cette partie du continent. Deux ans à peine après la demande d’adhésion de l’Ukraine, de la Moldavie et de la Géorgie, l’UE est confrontée à son premier test significatif avec la Géorgie surtout, où la conditionnalité de l’UE a rencontré son premier obstacle majeur en termes de recul démocratique.
Cette évolution s’inscrit dans un contexte de soutien fort et constant à l’intégration européenne de la part de la majorité de la population géorgienne. Le cas de la Géorgie devrait constituer un signal d’alarme important pour les dirigeants de l’UE. Même dans les pays où le soutien de la société à l’intégration européenne est le plus fort, l’Union devrait rester vigilante face aux premiers signes d’affaiblissement de la démocratie et ne devrait pas sous-estimer les efforts de la Russie pour étendre son influence.
Quel avenir pour la démocratie géorgienne ?
À l’approche du jour J, des inquiétudes subsistent sur la question de son déroulement dans des conditions libres et équitables, en raison d’un environnement de plus en plus hostile aux partis politiques d’opposition, à la société civile et aux médias indépendants. Dans de telles circonstances, l’opposition se trouve désavantagée, mais elle a encore une chance de gagner.
Cependant, la fragmentation pourrait être son plus grand problème. Les partis d’opposition ne se sont pas unis en une seule coalition, mais ont créé quatre grands groupes. Si le Rêve géorgien ne parvient pas à obtenir la majorité, le succès de l’opposition dépendra en grande partie de sa capacité à former un gouvernement de coalition malgré des différences visibles.
Quant à la société civile géorgienne, qui a fait preuve de résilience face aux tentatives du gouvernement de réprimer la démocratie et de saboter les perspectives d’intégration européenne, elle continue de résister à ces processus en se concentrant sur les élections. De nombreuses organisations et initiatives se sont mobilisées autour de l’observation des scrutins et de la sensibilisation des citoyens géorgiens vivant à l’étranger aux procédures de vote. Cependant, elles sont confrontées à l’incertitude engendrée par la loi sur les « agents étrangers », qui est désormais pleinement en vigueur. La plupart des organisations de la société civile et des médias géorgiens qui reçoivent plus de 20 % de fonds étrangers ont refusé de s’enregistrer en tant qu’agents étrangers. Ils anticipent, en conséquence, les sanctions financières qui auraient des effets dévastateurs.
Les élections en Géorgie marquent un tournant décisif pour le pays dans de multiples domaines. Ce qui est certain, c’est qu’elles ouvriront un nouveau chapitre. Il reste à voir si ce dernier se concentrera sur la reconstruction et l’avancement de la démocratisation de la Géorgie et de l’intégration européenne ou s’il conduira à une régression vers une autre forme d’autoritarisme. Quel que soit le résultat, la société géorgienne est à l’aube d’une nouvelle expérience, potentiellement transformatrice, qui remodèlera son avenir immédiat.
Ana Andguladze, Doctorante en sciences politiques, Université Libre de Bruxelles (ULB)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.