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L’anti-wokisme: une nébuleuse idéologique au cœur des tensions politiques actuelles

Publié le 19 novembre 2024 Mis à jour le 25 novembre 2024

David Paternotte et Martin Deleixhe, chercheurs en sociologie et théorie politique, explorent dans un récent dossier paru dans « La Revue Nouvelle », les contours d’un phénomène aussi flou que mobilisateur : l’anti-wokisme. Derrière ce terme aux usages multiples, ils mettent en lumière les enjeux sociaux, politiques et idéologiques qui se cristallisent autour de cette opposition, ainsi que son instrumentalisation dans les sphères culturelles et politiques.

Suite à un colloque organisé en décembre 2023, les chercheurs David Paternotte (PHISOC - STRIGES) et Martin Deleixhe (CReSPo), de la Faculté de Philosophie et Sciences sociales, ont coordonné un dossier spécial sur l’anti-wokisme, publié cette année dans La Revue Nouvelle. Dans ce dossier, les deux chercheurs reviennent sur la malléabilité du terme, qui permet à des acteurs aussi divers que des conservateurs, des libéraux et parfois même des courants de gauche de s’en réclamer. « C’est précisément cette ambiguïté qui en fait un outil puissant », explique Martin Deleixhe.

Définir l’indéfinissable : qu’est-ce que l’anti-wokisme ?

Derrière le terme « anti-wokisme » se cache une nébuleuse difficile à définir. Il désigne généralement une opposition aux revendications progressistes portées par des mouvements comme le féminisme, les luttes LGBTQIA+ ou les théories critiques de la race. Pourtant, selon David Paternotte, il ne s’agit pas d’une idéologie cohérente, mais plutôt d’un phénomène aux multiples facettes.

« L’anti-wokisme n’est pas une idéologie cohérente, mais plutôt une opposition polymorphe à des revendications progressistes, telles que les théories critiques de la race, les luttes féministes ou les droits des personnes trans », explique David Paternotte. Cette absence de définition rigoureuse confère au terme une grande efficacité : il devient un outil rassembleur pour des acteurs politiques et sociaux aussi divers que contradictoires, allant de la droite conservatrice à une gauche marxiste nostalgique de la centralité des luttes de classe.

Un instrument politique et culturel

L’anti-wokisme dépasse le simple débat d’idées pour devenir une arme politique. En Belgique, comme ailleurs, il se manifeste dans des discours, mais aussi dans des pratiques gouvernementales concrètes. En pratique, l’anti-wokisme s’incarne dans des initiatives telles que les enquêtes sur les prétendues « dérives universitaires » ou les tentatives de restreindre l’usage de l’écriture inclusive. Ces actions traduisent une volonté de réinvestir certains concepts, tels que l’universalité des Lumières, souvent opposée à ce que les anti-wokistes considèrent comme une « dérive relativiste » des sciences sociales.

Un « style » plutôt qu’une idéologie

Plutôt qu’un contenu idéologique précis, l’anti-wokisme se distingue par une tonalité particulière, marquée par l’anxiété et l’urgence. « Le discours anti-wokiste est traversé par une crainte profonde de la remise en cause des hiérarchies établies » En stigmatisant les luttes progressistes, il cherche à protéger une vision idéalisée d’un passé occidental, blanc et cisgenre, tout en dénonçant ce qu’il perçoit comme un « abandon » des valeurs des Lumières.

Ce discours s’appuie sur une stratégie médiatique efficace, multipliant les publications et les interventions publiques pour renforcer un récit homogène et mobilisateur. En réalité, ces productions fonctionnent bien auprès d’un public peu informé, en raison de leur simplicité et de leur caractère répétitif. 

L’anti-wokisme : un phénomène global aux ancrages locaux

Bien que ses racines soient souvent associées à la droite américaine, en réaction au mouvement Black Lives Matter, l’anti-wokisme a rapidement été réapproprié dans des contextes locaux, comme en Belgique. Bart De Wever, figure politique flamande, en propose une interprétation nationaliste, tandis que d’autres l’utilisent pour dénoncer des enjeux spécifiques, tels que l’égalité des genres ou les droits des minorités sexuelles. Cette flexibilité permet à l’anti-wokisme de rassembler des coalitions improbables. En Belgique, par exemple, des courants issus de la gauche laïque s’allient parfois à des franges conservatrices autour d’une critique commune des droits des personnes trans et des luttes féministes.

Dépasser le débat stérile

Pour les chercheurs, le principal danger de l’anti-wokisme réside dans sa capacité à obscurcir les véritables enjeux des luttes progressistes. « Personne ne milite pour le ‘wokisme’ en tant que tel, mais pour des causes spécifiques : les droits des personnes trans, la justice raciale, ou encore l’égalité des genres », rappellent David Paternotte et Martin DeleixhePour avancer, il est essentiel de dépasser cette opposition binaire et stérile. Plutôt que de se focaliser sur un terme flou et instrumentalisé, le débat public devrait s’intéresser aux revendications concrètes portées par ces luttes et examiner leur pertinence et leurs méthodes.

> Pour plus d'informations, consultez le dossier sur l'anti-wokisme dans la Revue Nouvelle.