Bien qu’elles soient de plus en plus nombreuses à se lancer en politique, les femmes y restent globalement minoritaires et font face à de nombreux obstacles dans un milieu fortement marqué par la masculinité. Ces dernières années, plusieurs élues ont dénoncé les violences sexistes en politique, notamment en Belgique.
La campagne électorale est un moment intense de la vie politique dans toute démocratie représentative, mais elle ne se déroule pas de manière égale pour toutes et tous. Les femmes candidates font face à un double combat : convaincre les électeurs tout en affrontant un sexisme qui se manifeste sous de multiples formes.
Notre étude a analysé près de 44 000 réactions à 2922 messages publiés sur X, Facebook et Instagram, par 40 candidates et candidats durant la période de campagne pour les élections régionales, fédérales et européennes du 9 juin 2024 en Belgique. Ces données ont été croisées avec 25 entretiens menés auprès de candidates, candidats et journalistes afin de comprendre les conséquences du sexisme et les stratégies mises en place pour y faire face.
Une agressivité exacerbée envers les candidates
Sur les réseaux sociaux, près d’une réaction sur deux aux publications des candidates et candidats est négative, notamment sur X.
Toutes et tous, quel que soit leur genre, doivent donc faire face à la négativité en ligne. Cependant, les femmes candidates sont particulièrement visées : elles reçoivent davantage de critiques que leurs homologues masculins. Les candidates subissent également plus de commentaires sexistes que les candidats, et ces attaques sont souvent dirigées contre leur apparence physique (près d’un tiers des réactions sexistes sur les réseaux sociaux envers les femmes candidates, contre 6 % envers les hommes candidats) ou leur légitimité à exercer des fonctions politiques (par exemple : « Il est temps pour cette fille de retourner jouer avec ses barbies »).
En outre, 68 % des auteurs de commentaires sexistes envers les candidates sont des hommes. À cet égard, il faut souligner que l’un des enseignements de l’étude est que de nombreux commentaires négatifs et sexistes sont envoyés par des utilisateurs non anonymes.
Sexisme hostile et bienveillant : deux facettes du même problème
Le sexisme prend des formes variées. Le sexisme hostile, explicitement dérogatoire, est majoritaire sur les réseaux sociaux (57 % des réactions sexistes). Il s’agit notamment de blagues, d’insultes sexistes ou encore de commentaires dégradants sur l’apparence physique. Mais un sexisme plus insidieux, dit « bienveillant », est également présent, notamment à travers des remarques qui renvoient les candidates à leur genre plutôt qu’à leurs compétences.
Ainsi, certaines candidates regrettent de se voir demander si elles réussissent à concilier la campagne électorale avec la gestion de leurs enfants. Bien que cette préoccupation puisse apparaître bien intentionnée, elle illustre en réalité une posture paternaliste et renvoie aux stéréotypes de genre.
Les actes de sexisme « bienveillant », même s’ils sont généralement moins aisément identifiés comme sexistes, peuvent se révéler aussi néfastes que le sexisme hostile pour les candidates. Leur répétition dans le temps est problématique, et peut affecter particulièrement les candidates, non pas en raison de la nature du propos sexiste, mais du fait de son caractère répété, et donc épuisant. Par exemple, le fait de recevoir sans arrêt des remarques, même aimables, sur son physique ou sa tenue vestimentaire épuise les femmes politiques qui préféreraient débattre du fond des dossiers.
Une superposition des discriminations
Le sexisme en politique s’ajoute à d’autres formes de discrimination. Les candidates jeunes ou issues de minorités sont plus fréquemment attaquées. Ainsi, 63 % des réactions aux publications sur les réseaux sociaux de candidates issues de l’immigration sont négatives, contre 31 % pour celles qui ne le sont pas. Ces candidates rapportent subir une double peine : « nous, on doit prouver plus en tant que femme, en tant que femme racisée. Forcément, on doit être irréprochables. »
Les candidates jeunes nous ont également rapporté, davantage que leurs aînées, être questionnées sur la légitimité de leur engagement politique et leur maîtrise des dossiers. Une candidate résume ce sentiment :
« J’ai dû lutter contre l’impression que c’étaient les gens qui devaient m’expliquer des choses et me convaincre que c’est à moi de leur expliquer des choses. Il y a un paquet de gens qui, quand une petite jeune femme vient leur dire “Votez pour moi” et ils ont le triple de mon âge, ils ne comprennent pas. J’ai ressenti beaucoup de regards, quelque part entre l’amusement et l’attendrissement. Je ne me suis peut-être pas sentie prise au sérieux comme on aimerait être prise au sérieux. Et ça fait que parfois, je me suis tue sur des sujets, dans des discussions, dans des débats. J’avais tellement peur de passer pour une incompétente que j’ai fini par me taire. »
Ce cumul des discriminations renforce les obstacles à leur engagement politique. Il illustre aussi la nécessité d’adopter une perspective intersectionnelle pour comprendre le sexisme en politique.
L’auto-censure des (futures) candidates
Face aux agressions sexistes, de nombreuses candidates adoptent des stratégies d’évitement : elles limitent leur activité sur les réseaux sociaux, modifient leur façon de s’habiller ou restreignent les sujets qu’elles abordent. Ces stratégies peuvent freiner leur carrière et nuire à leur santé mentale.
Le sexisme ne touche pas seulement les candidates actuelles. Il agit aussi comme un frein pour les femmes qui envisagent de se lancer en politique. En voyant les attaques subies par leurs modèles, de nombreuses citoyennes renoncent à briguer des mandats.
Agir pour une campagne électorale plus équitable
Face à ce constat - auquel il faut ajouter que les femmes ont toujours, à ce stade, moins de chances d’être élues que les hommes -, notre étude recommande une série de mesures concrètes :
Information et sensibilisation : Mener des campagnes d’information sur les différentes formes de sexisme, y compris les plus insidieuses, car le sexisme n’est pas toujours reconnu ni par les candidates qui le subissent ni par les auteurs de ces actes. Former les candidates et candidats à réagir face au sexisme.
Boîte à outils en ligne : Fournir des ressources pour organiser des sessions de sensibilisation et d’accompagnement.
Mentorat et réseaux de soutien : Mettre en place un accompagnement des nouvelles candidates par des femmes politiques expérimentées.
Accompagnement des victimes : Identifier des personnes de contact dans les partis et les médias pour soutenir les candidates confrontées au sexisme.
Monitorer le phénomène : Poursuivre la conduite d’études permettant d’identifier le sexisme en politique et son évolution dans le temps.
Une nécessité démocratique
Le sexisme en politique ne concerne pas seulement les candidates : il menace la démocratie en freinant la représentation des femmes dans les instances de pouvoir.
Prendre conscience de ce problème et agir collectivement est essentiel pour garantir une égalité réelle entre les candidats et les candidates. Les partis, les médias et les institutions doivent s’engager concrètement pour mettre fin aux inégalités de genre en politique.
Clémence Deswert, Doctorante en Science Politique, Université Libre de Bruxelles (ULB); Audrey Vandeleene, Chercheure postdoctorale au Centre d’Étude de la Vie Politique (Cevipol), Université Libre de Bruxelles (ULB) et Emilie Van Haute, Professeure de science politique, Université Libre de Bruxelles (ULB)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.