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L’intelligence artificielle au service du droit et de la justice

Publié le 8 avril 2025 Mis à jour le 10 avril 2025

Alors que l’intelligence artificielle (IA) est souvent perçue comme une menace pour les professions juridiques, Grégory Lewkowicz (Faculté de Droit et de Criminologie) met en lumière une autre réalité : celle d’une intégration progressive et pragmatique de l’IA dans le droit. Entre assistance à la légistique, optimisation des processus dans le monde judiciaire et renforcement de la conformité, les avancées sont nombreuses mais nécessitent une approche mesurée et critique.

Une révolution juridique plus lente que prévu

Les discours sur l’IA dans le droit oscillent entre fascination technologique et inquiétude pour l’avenir des professions juridiques. Pourtant, rappelle Grégory Lewkowicz, la prophétie d’une « justice robotisée » ne date pas d’hier. Depuis le XVIIe siècle, l’idée que les lois pourraient être appliquées de manière mécanique refait surface régulièrement. Aujourd’hui, les avancées de l’IA générative réactivent un imaginaire ancien, mais pas toujours adapté pour comprendre ce qui se passe vraiment. 

Des études récentes, comme celles de Stanford (2024), montrent que même les meilleurs modèles, lorsqu’ils sont entraînés sur des bases juridiques spécialisées (Westlaw, LexisNexis), produisent encore des résultats incomplets ou des « hallucinations » dans un quart à un tiers des cas. Résultat : l’IA ne remplace pas l’expertise juridique humaine, mais peut l’assister, sous certaines conditions strictes.

Loin de remplacer les avocats, magistrats et juristes, l’IA s’intègre comme un outil dans leur environnement de travail, notamment pour les tâches répétitives ou standardisées ou pour acquérir de nouvelles informations stratégiques. Selon un sondage de Thomson Reuters, les professionnel·les du droit identifient d’ailleurs l’IA et la croissance exponentielle des données comme les deux principales forces de transformation de leur métier.

Une intégration ciblée dans la législation et le contentieux et le monde judiciaire 

C’est dans cet esprit que travaille le Smart Law Hub, dirigé par Grégory Lewkowicz au sein du Centre Perelman. L’objectif : tester et mettre en œuvre, avec rigueur scientifique, des usages concrets de l’IA dans les différents pans du droit, depuis l’élaboration des textes jusqu’à leur application.

Un premier champ d’application est celui de la législation. Le projet SIMPLEX, mené en partenariat avec la Région, vise à restructurer les bases de données juridiques régionales pour les rendre plus intelligibles, accessibles et utilisables. Il repose sur l’adoption de standards internationaux pour la mise en forme des textes permettant non seulement de mieux naviguer dans la loi, mais également d’évaluer la qualité des textes, leur complexité et de faciliter la simplification administrative. 

Dans le domaine judiciaire, des projets aujourd’hui aboutis démontrent la capacité de l’IA à accélérer des processus complexes. En France, un modèle de langage conçu pour la Cour de cassation a permis de réduire de plusieurs mois à quelques secondes le temps nécessaire à l’orientation des pourvois. Bien que perfectibles, ces outils illustrent l’intérêt de solutions sur-mesure, développées pour des cas d’usage précis.

Une aide précieuse pour la conformité… sous contrôle humain

Enfin, l’IA se révèle utile dans les problématiques de conformité, en particulier dans le domaine de la protection des données personnelles ou des nouvelles règles européennes sur l’intelligence artificielle. Des modèles permettent aujourd’hui d’analyser automatiquement des contrats afin d’y repérer les potentielles violations du RGPD. Ces outils ne dispensent pas de l’avis d’un·e expert·e, mais facilitent l’identification rapide des points de vigilance. A l’inverse, des collaborations en cours visent à développer des métriques pour évaluer les modèles par rapport au respect des droits fondamentaux et non seulement en fonction de la seule performance. 

Toutefois, Grégory Lewkowicz insiste sur la nécessité de maintenir une vigilance critique. Le droit peut lui-même être transformé dans ses effets par l’utilisation de l’IA. Il faut donc constamment s’assurer que les solutions développées n’en trahissent pas l’esprit et qu’elles demeurent au service de l’humain. 

L’ambition du Smart Law Hub est d’inscrire cette démarche dans une logique interdisciplinaire, en réunissant juristes, informaticien·nes et sciences humaines pour penser ensemble les conditions d’un déploiement responsable de l’IA en droit. Loin de l’automatisation aveugle, c’est une « intelligence augmentée » qui doit être recherchée – humble, contextualisée, et critique.