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Vers une Europe radicalement à droite ?

Publié le 17 mai 2024 Mis à jour le 22 mai 2024

Portée par la multiplication des crises, des peurs et des revendications, la droite radicale soulève les votes et espère gravir le Parlement européen. Mais, serrée par le cordon sanitaire, jusqu'où l'extrême droite va-t-elle et peut-elle monter ? À la rencontre de Nathalie Brack, chercheuse au Cevipol.


Chercheuse au Centre d’Etude de la Vie Politique (Cevipol) et professeure en sciences politiques - Faculté de Philosophie et Sciences socialesNathalie Brack concentre sa recherche sur les partis radicaux de droite et leur influence sur les institutions européennes. Actuellement, elle travaille également sur la communication conspirationniste des partis politique et sur la représentation politique en général.

Ces récentes études se sont penchées sur la droitisation du Parlement européen en perspective des élections européennes et sur l'efficacité du cordon sanitaire, empêchant le groupe d'extrême droite ID d'accéder à des postes à responsabilité au sein du Parlement. 

Le constat ? Les élections devraient conduire à une montée visible de l'extrême droite mais avec un impact relativement modéré sur les coopérations et sur les politiques publiques au Parlement. 

Au niveau du Parlement, il y a deux groupes d'extrême droite avec des priorités différentes.

  • Le groupe ECR (Conservateurs et réformistes européens) : tradition, conservatisme et valeurs nationales.
  • Le groupe d'extrême droite ID (Identité et démocratie) : anti-migration, dans lequel siègent notamment le Rassemblement national français et l’AfD allemande. Ce dernier, en raison du cordon sanitaire européen, ne peut prétendre à un poste à responsabilité au sein du Parlement (président, vice-président, etc.).

À l'approche des élections européennes de juin 2024, la droite radicale semble gagner du terrain...

D'un côté, les groupes de centre droit et de centre gauche semblent à nouveau perdre la majorité absolue ; d'un autre côté, les groupes populistes, eurosceptiques et nationalistes gagnent en popularité.

Le groupe ECR rencontre un fort succès et pourrait se rapprocher du PPE (Parti Populaire Européen), groupe de centre-droite, qui fait partie de la "grande coalition" à ce jour au Parlement : coalition majoritaire pro-européenne composée des trois groupes PPE, S&D (socio-démocrates) et Renew (centristes-libéraux).

À droite toute pour le Parlement européen ?

Récemment, Nathalie Brack et Awenig Marié, également membre du Cevipol, ont publié une étude - pour l’Observatoire politique du Parlement européen de l’Institut Jacques Delors - sur la droitisation du Parlement et son possible impact sur la coalition actuelle : "Une poussée à droite aux élections conduirait-elle à un changement de la coalition centrale au Parlement européen ?"

En se basant sur les comportements de vote, Nathalie Brack et son collègue ont démontré que, malgré une montée de l'extrême droite continue dans les sondages, la "grande coalition" devrait perdurer après le 9 juin, avec un impact restreint pour la droite radicale, dépendant des domaines de politique publique.
 

Serré par le cordon sanitaire, le groupe ID a-t-il un impact ?

La chercheuse mène actuellement une étude sur le groupe d'extrême droite ID et son influence au Parlement malgré le cordon sanitaire qui l'exclut des postes à responsabilité. "Globalement, ce qu'on voit, c'est que l'influence du groupe est ultra-réduite mais, ce qu'on a trouvé surprenant, c'est qu'ils rejoignent de plus en plus les majorités gagnantes."

Par stratégie de normalisation visant à paraître plus "respectables", par alignement avec des politiques centristes ou parce qu'ils ont réussi à passer des amendements favorables à leur agenda, les raisons du rapprochement vers des majorités gagnantes - que le groupe critique - restent floues et ne modifient pas leur impact sur les textes.

Nathalie Brack soutient : "Il est très rare que ce soit les votes de l'extrême droite qui réussissent à faire pencher la balance d'un côté ou d'un autre. Il y a eu quelques cas, mais ça reste minoritaire pour Identité et démocratie (ID)."
 

Entre 2019 et aujourd'hui, quels changements ?

En 2019, la mobilisation pour le climat avait favorisé les Verts. Maintenant, on s'attend à ce que les Verts perdent des sièges au profit de la droite radicale, avec des questions comme la migration - aujourd'hui davantage mise en priorité dans l'agenda politique.

La colère, les incertitudes, les récents événements, comme les revendications des agriculteurs dans certains pays d'Europe (retour au terroir, aux valeurs nationales, contre le libre-échange), pourraient également jouer en faveur des partis de droite radicale.

Nathalie Brack nous explique que l'on peut observer trois types d'électeurs pour l'extrême droite. Premièrement, les électeurs idéologiques qui votent par conviction, étant nationalistes, anti-migration et conservateurs. Deuxièmement, ceux qui utilisent leur vote comme un acte de protestation contre l'ensemble du système politique, exprimant une méfiance générale envers les institutions démocratiques. Enfin, la troisième catégorie regroupe des électeurs déçus par les partis dits "traditionnels", estimant que leurs préoccupations ne sont pas prises en compte.

Un paradoxe actuel soulevé par Nathalie Brack : l'augmentation du vote jeune pour l'extrême droite. Pourtant, "ces jeunes ne sont pas plus racistes ou conservateurs que les générations précédentes ; leur vote est souvent motivé par une déception envers les partis traditionnels et le sentiment que leurs préoccupations (coût de la vie, du logement, des soins de santé, d'éducation...) ne sont pas écoutées".

Cette augmentation peut également s'expliquer par les stratégies de normalisation des partis d'extrême droite dans plusieurs pays européens, avec des "leaders plus entraînés, qui s'efforcent de polir leurs discours et leur image et de reprendre la rhétorique de partis de centre-droit pour tenter, comme Marine Le Pen l'a annoncé, de devenir plus respectables".

Les différentes études de la chercheuse indiquent que, même si l'extrême droite gagne du terrain en Europe, il ne devrait pas y avoir de changements drastiques après le 9 juin quant à leur influence au Parlement européen, bien que certaines tensions pourraient apparaître sur certains domaines de politiques publiques.

On peut en effet craindre pour la mise en œuvre du Pacte vert (visant à rendre l’Europe neutre pour le climat d’ici à 2050) si la majorité du Parlement européen est à droite.