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12 mois 12 experts | Chute du mur de Berlin: une Europe non-unifiée, en attente de justice sociale
Novembre 2019: l'Europe se souvient de la chute du mur de Berlin, dans la nuit du 9 novembre 1989
30 ans après la chute du mur de Berlin et l’effondrement du bloc soviétique, les inégalités demeurent, voire s’intensifient en Europe. A l’est comme à l’ouest, des votes extrêmes de rejet s’expriment; mais, au même moment, des citoyens organisent la solidarité.
L’unification de l’Allemagne a été un processus rapide, brutal : 79% des Allemands de l’est ont alors perdu leur emploi, ils ont été obligés de changer d’entreprise et souvent aussi de métier.
Trente ans plus tard, l’unification n’est pas entièrement réussie : les salaires d’Allemagne de l’est continuent à être inférieurs à ceux de l’ouest; seul 1,7% des élites allemandes sont issues de l’est; les inégalités socio-économiques persistent. Et si 68% des Allemands de l’est et 77% de l’ouest se disent “globalement satisfaits” de la réunification (source), les résultats électoraux trahissent un autre ressenti: aux dernières élections régionales, le parti d’extrême-droite Alternative pour l’Allemagne (AfD) a gagné plus de 20% des voix; sa campagne pointait du doigt Angela Merkel qui "n’aurait rien fait pour l’Allemagne de l’est dont elle est pourtant originaire", selon l'AfD.
En 2019, nombre d’Allemands de l’est ont l’impression que le système politique les a abandonnés, qu’ils sont les grands perdants de l’unification.
Ils ne sont pas les seuls à éprouver ce sentiment d’abandon. Il s’exprime aussi en Belgique, en France, en Europe de l’ouest. Les gilets jaunes en sont une illustration ; les votes populistes un autre exutoire. On l’observe aussi en Europe centrale et orientale. Les partis extrémistes, tenant des discours favorables aux “perdants du système” gagnent des voix. En Roumanie, par exemple, au premier tour des élections présidentielles de 2019, 52% des électeurs du Parti Social-Démocrate (ex-parti communiste) sont sans emploi ; en Pologne, un peu moins de la moitié de l’électorat, essentiellement rural, vote pour le parti chrétien conservateur et anti-immigration Droit & Justice (PiS).
Europe inégalitaire
Aujourd’hui, la question des inégalités entre une population “très riche” et une autre, majoritaire, “de plus en plus pauvre” est pointée partout en Europe. Mais au sein de cette Europe inégalitaire, des disparités s’affichent entre pays. L’avènement d’États-providence nationaux forts et l’unification européenne étaient les plus beaux projets politiques du XX ème siècle, comme le souligne Frank Vandenbroucke dans le livre Les solidarités européennes : entre enjeux, tensions et reconfigurations. Tant à l’ouest qu’à l’est, l’Europe sociale reste à construire. En Europe “de l’est” tout a dû être réinventé après 1989 et la chute du mur : la population a accepté des sacrifices qu’elle pensait transitoires; la paix sociale a régné alors que les industries fermaient, les entreprises étaient privatisées, etc. Mais 30 ans après, une grande partie de la population se sent laissée pour compte, sans aide sociale suffisante.
Citoyens engagés
Trente après la fin de la dictature, les Roumains continuent à participer activement à la vie politique de leur pays.
Alors que l’état de la démocratie se dégrade en Hongrie, en Pologne, en Roumanie ou ailleurs, les citoyens descendent manifester en rue à chaque fois que leur gouvernement porte atteinte à leurs droits et à leurs valeurs.
Les citoyens roumains, et en particulier les jeunes, participent activement aux débats politiques. Même si le taux de participation aux élections présidentielles de 2019 est faible, surtout parmi les 18-24 ans, cela ne signifie toutefois pas qu’ils ne s’impliquent pas dans la vie politique. Au contraire, ils ont “simplement” choisi d’autres formes d’engagement que les urnes électorales. De nombreuses initiatives citoyennes sont prises pour combler l’inaction de l’État, surtout dans le domaine social. Elles se multiplient et prennent des formes des plus diverses.
Deux exemples, parmi d’autres, dans le domaine de la santé. Le pays n’a pas d’hôpital d’oncologie et de radiothérapie pédiatrique dédié aux malades du cancer. Deux femmes, deux citoyennes se mobilisent actuellement pour collecter des fonds, monter des dossiers, obtenir des autorisations et réussir à ériger cet hôpital. Autre illustration de cet engagement citoyen: le gouvernement roumain a bloqué depuis quelques temps l’importation de médicaments pour les chimiothérapies. En réaction, un réseau de solidarité s’est créé autour de médecins, d’infirmiers, d’anonymes : il collecte de l’argent, il va chercher des médicaments dans les pays voisins d’Europe, il réussit à apporter leur traitement à des dizaines de patients.
A l’est comme à l’ouest, les citoyens sont en train de réinventer leur citoyenneté…
Article écrit par Ramona Coman et Nathalie Gobbe
L'experte: Ramona Coman
Ramona Coman est professeure de science politique au Cevipol, Faculté de Philosophie et Sciences sociales, et directrice de l'Institut d’Études européennes.
ramona.coman@ulb.be
Tous ses articles sur The Conversation France.