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12 mois 12 experts | Dans quel État vivent les Belges?
Janvier 2020: 50 ans après la première réforme de l'État
En 2020, il y aura 50 ans que la Belgique aura commencé sa fédéralisation, entendez son chemin vers plus d’autonomie et plus de compétences aux Communautés liées à la langue et aux Régions liées au territoire. Une histoire belge née d’une frustration: l’hégémonie de la langue française.
Dans la Belgique de1970, trois Communautés culturelles voient le jour. Elles sont dotées d’une petite autonomie. Cette première réforme de l’État est l’aboutissement d’une longue gestation politique, née d’une frustration: l’hégémonie de la langue française sur le flamand.
Dès la fin de la 1re Guerre mondiale, en effet, un mouvement flamand radical, le Frontpartij s’érige pour la défense de la langue flamande face au français, seule langue officielle utilisée dans l’administration, l’enseignement, la justice… Les années 1930 marqueront le début d’une bipolarisation – flamands, francophones – de la vie politique et d’un certain rejet d’une Belgique unie. La seconde guerre mondiale calmera les élans communautaires et renforcera le patriotisme belge.
Mais dès les années 1960, le combat entre Flamands et Francophones repasse à l’avant-plan.
La frontière linguistique est fixée en 1962; un statut particulier est établi pour Bruxelles et pour les communes dites à facilité; quatre régions linguistiques sont créées. Les partis politiques se divisent en deux ailes - francophone, flamande - ; les partis communautaires engrangent des victoires électorales…
1970, 1re réforme de l’État
Les Flamands et les Francophones finissent par s’accorder pour fédéraliser le pays.
Mais s’ils partagent un même objectif, en revanche, leurs motivations sont fort différentes :
Les Flamands veulent plus d’autonomie culturelle; ils l’obtiennent avec la 1re réforme de l’État et la création des communautés culturelles . Les Wallons, eux, veulent une autonomie régionale pour redresser leur économie en déclin, notamment en raison d’une politique économique qu’ils jugent trop flamande. Ils devront attendre 1980 et la 2e réforme de l’État: deux Régions voient alors le jour – Région flamande et Région wallonne. Les Communautés culturelles sont rebaptisées: Communauté flamande, Communauté française et Communauté germanophone. Chacune de ces entités est dotée d’un Conseil (un parlement) et d'un gouvernement.
La Région bruxelloise reste, elle, au frigo: il faudra attendre la 3e réforme de l’État en 1988 pour mettre sur pied la Région de Bruxelles-Capitale et la doter, elle aussi, d’un parlement et d’un gouvernement.
Vers une 7e réforme?
En 2020, soit un demi-siècle après le début du fédéralisme “à la belge”, l’État a connu six réformes et certains estiment qu’une 7e réforme se profile encore. Les partis séparatistes flamands N-VA et Vlaams Belang ont en effet réuni plus de 43% des votes au nord du pays. Face à ce succès, la plupart des partis traditionnels flamands s’alignent et revendiquent plus d’autonomie et de compétences. D’ailleurs, l’accord du nouveau gouvernement flamand qualifie la Flandre de “Nation”, nomme un ministre de la justice (matière pourtant fédérale), veut surveiller lui-même les établissements religieux (là aussi matière fédérale)…
Le sud du pays, en revanche, n’est “demandeur de rien”.
Il l’est d’ailleurs depuis 1993 et la 4e réforme de l’État qui, pour les Francophones, devait marquer l’achèvement du fédéralisme. Et pourtant, il y a eu une 5e et puis, une 6e réformes de l’État. Avant peut-être une 7e?
La difficulté à former un gouvernement fédéral plus de six mois après les élections illustre, pour les séparatistes, cette division inéluctable du pays. Mais sur le plan juridique, cette 7e réforme de l’État est loin d’être acquise : il faudrait soit modifier la Constitution (ce qui nécessite une majorité des 2/3 à la Chambre et au Sénat et surtout une nouvelle déclaration de révision parce que celle votée en 2019 est trop minimale), soit voter des lois spéciales (et donc obtenir en plus, une majorité dans chacun des groupes linguistiques).
Une solidarité enrayée
Une autre piste pourrait être un retour aux urnes. Et cette fois, une campagne qui permette à chaque citoyen de se positionner soit pour la poursuite d’une cohabitation soit pour la disparition de la Belgique unie.
Les réformes de l’État successives ont affecté le quotidien des Belges; et pourtant, ils s’en rendent peu ou pas compte.
Notamment parce que chacun suit les actualités, les “JT”, les débats politiques dans sa langue et ignore ce qui se passe de l’autre côté de la “frontière” linguistique.
Pourtant, aujourd’hui, en Belgique, la plupart des mesures politiques ne s’adressent plus aux Belges mais aux habitants des différentes entités fédérées. La Flandre, par exemple, a organisé un système d’assurance “autonomie” pour aider les personnes devenues incapables d’accomplir les actes de la vie quotidienne; elle a émis l’intention de supprimer le vote obligatoire dans ses communes; elle a aussi décidé de réduire de 60% les subsides à la culture. Aujourd’hui, les élèves de Flandre sont mieux classés dans les enquêtes PISA que ceux de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Les allocations familiales sont également différentes au nord et au sud; les droits d'enregistrement pour un bien immobilier aussi.
Ce sont là quelques exemples d’une solidarité entre Belges qui s’est enrayée au fur et à mesure des réformes de l’État. Une Belgique désormais à deux, trois ou même quatre vitesses… Le paradoxe est que la 1re réforme de l’État avait pour but de calmer les appétits communautaires et régionalistes. C’était il y a 50 ans.
Article écrit par Lucien Rigaux et Nathalie Gobbe
L'expert: Lucien Rigaux
Lucien Rigaux est doctorant au Centre de droit public de la Faculté de Droit et de Criminologie. Ses domaines d’expertise: droit constitutionnel, droit à la sécurité sociale et droit des finances publiques.
lucien.rigaux@ulb.ac.be