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Décembre|Marketplaces: quand les plateformes dévorent l’e-commerce

Publié le 15 novembre 2023 Mis à jour le 9 janvier 2024

Les fêtes de fin d'année se profilant, la place de l’e-commerce et le monopole croissant des "marketplaces" peuvent faire réfléchir au moment de cliquer sur "acheter". Nicolas van Zeebroeck dresse un portrait sans concession de l’e-commerce actuel et de ses évolutions futures.

Le terme de "marketplace" s'est imposé aujourd'hui dans le commerce en ligne. Que regroupe-t-il ?

Nicolas van Zeebroeck : Sur un site d’e-commerce classique (comme Amazon à ses débuts), les produits sont vendus par l’opérateur de la plateforme lui-même. Dans une marketplace en revanche, la plateforme n’est plus qu’un intermédiaire, facilitant les transactions entre des vendeurs et des acheteurs. Amazon fait désormais les deux. Et tous les grands opérateurs de l’e-commerce ne peuvent qu’évoluer vers ce modèle.

Pourquoi ?

Nicolas van Zeebroeck : La raison réside dans les économies d’échelle aux deux bouts de la chaîne de valeur. Derrière un simple clic, la logistique d’une vente en ligne est dantesque. L’e-commerce donne une fausse impression de flux dématérialisés alors qu’Amazon est devenu un géant de la logistique mondiale. Pour que l’e-commerce soit rentable, il faut que le coût marginal d’une livraison soit minimum, ce qui n’est possible qu’en combinant une infrastructure colossale (entrepôts robotisés, camions, avions, bateaux, drones…) avec un volume d’activité énorme. A l’autre bout de la chaîne de valeur, attirer les consommateurs est extrêmement coûteux et leur nombre augmente la valeur de la plateforme (par exemple à travers les avis et recommandations).

Pour un vendeur indépendant, il faut vendre là où sont les consommateurs et utiliser la logistique la plus efficace possible. Les grandes plateformes (Amazon, Alibaba…) offrent les deux. Il était donc logique qu’elles se muent en marketplaces. Les vendeurs y trouvent des acheteurs par centaines de millions et des services logistiques imbattables. Le consommateur trouve absolument tout dans une même application mobile avec la livraison la plus rapide et bon marché possible. La plateforme y gagne le volume qui rend le tout rentable. C’est économiquement imparable, raison pour laquelle le commerce mondial converge vers quelques marketplaces dominantes. Amazon, Alibaba, JD.com et Pinduoduo ont facilité pour 2500 milliards d’euros de ventes en 2022 et pourraient, selon une étude, capturer 60% du commerce en ligne d’ici 2027.

Comment le régulateur européen entend-il dompter ces plateformes ?

Nicolas van Zeebroeck : Deux récentes directives européennes ambitionnent de réguler le fonctionnement des marchés numériques. D'un côté, le Digital Markets Act (DMA) vise à s'attaquer à la domination des grandes plateformes pour rétablir la concurrence. De l’autre, le Digital Services Act (DSA) cherche à réguler la diffusion des produits et contenus sur internet. Avec ces textes, le régulateur commence à remettre de l'ordre dans ce « Far West » dématérialisé dans lequel s'intègre nos comportements d’achat. Mais l'ampleur de cette migration du commerce physique vers l'électronique puis les marketplaces a fait naître des géants dotés d’actifs physiques (logistique mais aussi data centers et interfaces mobiles) qui les rendent incontournables. Il est loin d’être acquis que cette régulation européenne, dont l’entrée en vigueur s’étale de mai 2023 au printemps 2024, changera grand-chose à une dynamique surpuissante.

Comment agir à notre échelle de consommateur ?

Nicolas van Zeebroeck : Chaque achat sur les plateformes consolide un peu plus leur domination. Les « traces » que nous laissons derrière nous sont autant d’indices sur nos envies et habitudes que les plateformes s’accaparent et exploitent pour mieux cibler et influencer nos recherches et finalement nos comportements, parfois au détriment des vendeurs tiers. Sur ce point aussi, les DMA et DSA veulent agir, notamment en obligeant les grandes plateformes à offrir la possibilité d’une présentation « neutre » des offres et contenus, ou en leur interdisant d’exploiter les données tierces, c'est-à-dire celles qu'elles retirent des ventes dont elles ne sont qu’un intermédiaire. Mais si l’on s’inquiète du pouvoir croissant des markeplaces ou de leur capacité à nous profiler pour nous influencer, il n'y a pas meilleure manière de résister que d'aller faire ses courses de Noël... en magasin (et sans carte de fidélité) !
 

Marie Thieffry