Dès aujourd’hui, et plus encore dans l’école de demain, l’établissement scolaire est « un lieu de vie pour les élèves et les personnels ». L’architecture adaptée peut ainsi devenir un levier pour améliorer la qualité de vie à l’école pour tous (enseignants compris), tout en favorisant de meilleures conditions d’apprentissage pour les élèves.
Les sciences de l’éducation se sont longtemps focalisées sur les méthodes pédagogiques et les programmes, en négligeant la dimension physique de l’environnement scolaire. Pourtant, l’agencement des salles, la disposition du mobilier ou les espaces de pause influencent au quotidien le travail des professeurs. Leur bien-être n’est pas un luxe secondaire : il constitue un facteur fondamental pour eux-mêmes, mais aussi pour la qualité de l’enseignement et la réussite des élèves.
Pourquoi dès lors ne pas (re)penser l’école en intégrant davantage le point de vue des enseignants ?
Les contraintes spatiales pesant sur les enseignants
Dans de nombreux établissements, la salle de classe reste un espace rigide, hérité d’un modèle traditionnel. Des rangées de tables face au tableau, un bureau magistral pour le professeur : cette configuration standard a peu évolué depuis des décennies, malgré l’émergence de nouvelles pédagogies plus « actives ».
Ce formalisme spatial, conçu avant tout pour la discipline et la transmission magistrale, réduit l’autonomie pédagogique de l’enseignant. Difficile, par exemple, d’organiser des ateliers dans une classe équipée de pupitres fixes. Une enquête du Cnesco souligne d’ailleurs que le mobilier est souvent inadapté aux pratiques différenciées que requiert l’enseignement moderne.
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De nombreuses études alertent sur les risques d’épuisement professionnel (burn-out) dans le corps enseignant. Ce syndrome, conceptualisé par Christina Maslach et ses collègues, se manifeste par une fatigue émotionnelle profonde, un cynisme ou un détachement vis-à-vis du travail, et un sentiment d’inefficacité personnelle.
Les causes du burn-out sont multifactorielles (surcharge, manque de soutien, conflits de valeurs…), mais les facteurs organisationnels et environnementaux y jouent un rôle clef, en particulier, le manque de contrôle sur son travail entretient l’épuisement.
Lorsque les enseignants ont le sentiment de subir leur environnement sans pouvoir le contrôler, le risque d’épuisement augmente. À l’inverse, quand les professionnels ont la capacité d’exercer une autonomie professionnelle, leur l’engagement s’accroît. Autrement dit, un espace subi est un facteur de stress, tandis qu’un espace approprié peut devenir un facteur de satisfaction.
Dans les open spaces comme dans les classes, un manque de contrôle des professionnels sur leur environnement
Les problématiques que rencontrent les enseignants face à leur environnement de travail ne sont pas sans rappeler celles des salariés en entreprise, notamment dans les bureaux en open space. Certes, ces derniers facilitent les échanges informels – tout comme les open-plan schools encouragent les interactions – mais ils présentent aussi des écueils bien documentés en ergonomie du travail.
L’un des premiers griefs formulés par les employés travaillant en open space concerne le manque de contrôle de leur espace professionnel. Or, les êtres humains éprouvent le besoin de s’approprier leur environnement de travail. Les enquêtes menées par le ministère français du travail (Dares) montrent que le travail en plateau ouvert est perçu comme plus intense et plus contrôlé, laissant moins d’autonomie aux salariés concernés. Ces derniers signalent davantage de difficultés à se concentrer. Ces constats font écho au vécu d’enseignants : eux aussi évoluent dans un espace qu’ils contrôlent peu.
Face aux limites de l’open space, les entreprises ont commencé à réagir en repensant l’aménagement de leurs locaux. On voit émerger des bureaux hybrides, combinant des zones ouvertes pour la collaboration et des espaces fermés ou isolés pour la concentration et le repos. L’objectif est de redonner aux travailleurs du choix dans leur façon d’occuper l’espace.
Qu’en est-il du monde enseignant ? Si les analogies avec le tertiaire ont leurs limites – un professeur ne peut pas « télétravailler » sa classe depuis chez lui ni aménager son école à sa guise, par exemple – peu d’initiatives similaires ont vu le jour dans l’éducation.
Considérer l’espace comme un facteur de réussite scolaire
La recherche en éducation a longtemps privilégié les aspects sociaux, cognitifs et organisationnels de la scolarisation, reléguant l’environnement matériel au second plan. Ce n’est qu’assez récemment que la donne commence à changer. Par exemple, une étude britannique de 2015 a montré que certaines caractéristiques du bâti (lumière, acoustique, agencement…) pouvaient expliquer jusqu’à 16 % des variations de performance académique des élèves. De telles données ont poussé les décideurs à considérer l’école non plus seulement comme un lieu d’enseignement, mais aussi comme un environnement global où élèves et enseignants interagissent avec l’espace.
Le ministère de l’éducation nationale a lancé ces dernières années des réflexions sur l’architecture scolaire. Le Cnesco, dans son rapport de 2017, insiste sur le besoin de modularité et de modernisation des établissements. En somme, on (re)découvre que l’espace n’est pas qu’une boîte vide, mais bel et bien un acteur silencieux de la réussite scolaire et du bien-être au travail.
Replacer les enseignants au cœur de la conception des espaces scolaires est nécessaire. Si l’école doit préparer les élèves au monde de demain, elle doit aussi offrir à ceux qui la font vivre – les enseignants – un environnement à la hauteur de leurs missions. Cela passe par des salles de classe polyvalentes, équipées d’un mobilier modulable que l’on peut recomposer selon l’activité (cours magistral, travaux de groupe, apprentissage par ateliers…).
Certains établissements expérimentent la classe flexible, en permettant à l’enseignant de varier les formats pédagogiques et en redonnant du contrôle sur l’espace. Les retours indiquent que cette flexibilité profite aux élèves comme aux professeurs.
L’architecture scolaire devrait remplir une double mission : servir la pédagogie et soutenir celles et ceux qui la mettent en œuvre au quotidien. Repenser l’école pour qu’elle soit vraiment conçue aussi pour ceux qui y travaillent n’est pas un vœu pieux, mais un objectif réaliste et porteur de progrès. Une école pensée avec ses enseignants sera sans nul doute plus accueillante, plus efficiente et plus durable. Et in fine, c’est toute la communauté éducative qui en bénéficiera, élèves en tête.
Sonia Vermeulen Steyaert, Doctorante en Psychologie du travail et Sciences de l'éducation, Université Libre de Bruxelles (ULB)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.