Corentin Caudron, Université Libre de Bruxelles (ULB)
Nous sommes le 18 février 2024. Cela fait 10 ans depuis ma première visite au Costa Rica et mes premières études sur le terrain dans ce pays connu pour d’intenses activités volcaniques. Je reviens dans ce pays fantastique avec un objectif de recherche bien identifié : mesurer l’activité du volcan Poás, qui a connu 39 épisodes éruptifs depuis 1828, et présenter mes résultats lors d’une réunion de travail internationale.
Mais cette fois, je suis confronté à un léger problème puisque la raison de ma visite s’est littéralement… évaporée.
En effet, un mois auparavant, coup de massue. Notre expérience tant attendue « tombe à l’eau ». Le lac du Poás au Costa Rica s’est complètement vaporisé suite à l’activité accrue du volcan qui a débuté il y a quelques mois. Or, mesurer des bulles avec un microphone immergé dans l’eau requiert… de l’eau.
Un peu gênant surtout que j’avais été invité à participer à cette réunion pour démontrer l’utilité d’une technique innovante, à la suite d’une longue mission au Nicaragua et au Guatemala.
Cette mission étant planifiée depuis des mois. Passée la déception, je décide de m’y rendre malgré tout. Je me dis que j’aiderai les collègues dans leurs mesures et pourrai également enfin rencontrer mes confrères costaricains avec qui je travaille depuis près de 10 ans en traitant leurs données sismiques.
Anticiper des éruptions spectaculaires
Depuis de nombreuses années, je me suis spécialisé dans la surveillance des volcans par des méthodes sismiques passives qui reposent sur l’utilisation des vibrations continues ambiantes du sol plutôt que des séismes.
Je me suis particulièrement intéressé à la recherche de signaux précurseurs aux éruptions phréatiques, c’est-à-dire des éruptions sans émission de magma en surface ; le Poás en produit de nombreuses lorsqu’il est en phase d’activité.
L’absence de magma en surface complique significativement la tâche des agences de surveillance telle que l’évacuation des populations ou touristes visitant les volcans puisque les signaux précurseurs, lorsqu’ils existent, sont extrêmement ténus. Les éruptions sont toutefois capables d’injecter des cendres à des altitudes atteignant 10 km, fauchant au passage toute personne se promenant alentours.
Si les éruptions du Poás n’ont jamais fait de victimes, on se rappelle de l’éruption du volcan Ontake au Japon en 2014 qui fit plus de 50 victimes, ou la spectaculaire éruption de White Island en 2019 en Nouvelle-Zélande qui en fit 22 parmi des touristes venus visiter cette île autrement inhabitée.
Une étude récente suggère même que ce type de mécanismes aurait pu déclencher le plus violent paroxysme depuis un siècle lors de la fameuse éruption du volcan Hunga en 2022, dans les îles Tonga, qui injecta des cendres et de la vapeur d’eau jusqu’à 60 km d’altitude.
Pourquoi faut-il écouter les volcans ?
Depuis cinq ans, j’ai voulu explorer les paysages sonores volcaniques : les sons émis par le volcan en milieu aquatique, pour quantifier l’émission de gaz.
Les premiers résultats de mes acquisitions sonores étant très encourageants, j’ai été invité par les organisateurs du workshop à déployer des hydrophones afin de quantifier le dégazage du volcan Poás.
Terry Plank épaulée par Conor Bacon de la prestigieuse Columbia University (USA) ont bénéficié d’un financement de la Moore Foundation, appelé AVERT, pour rassembler des scientifiques sur ce volcan afin de tester des méthodes innovantes de surveillance volcanique. Grâce à l’aide des scientifiques de l’Ovsicori, en particulier Maarten de Moor, Geoffroy Avard, Henriette Bakkar, Leonardo van der Laat et John Bolaños Paniagua, ils sont parvenus à rassembler 30 scientifiques particulièrement motivés par cette initiative. L’équipe AVERT a notamment prévu de partager les données librement avec la communauté.
Cette idée de mesurer le son émis par des bulles pour prédire des éruptions volcaniques n’est pas du tout neuve. Ce type de mesures remonte aux années 80-90, lorsque des chercheurs français : Jean Vandemeulebrouck et ses collègues ont émis l’hypothèse que l’on pouvait suivre l’activité des volcans en utilisant les sons enregistrés dans l’eau.
Quoi de plus logique finalement qu’écouter les sons émis par les bulles volcaniques avec des microphones ? Les défis sont en réalité d’ordre technologique. En effet, pour surveiller le bruit des bulles, il faut nécessairement échantillonner des données à très haute fréquence afin de capter les sons des bulles, qui atteignent des milliers de Hertz.
Ce qui, en contrepartie, nécessite un espace de stockage volumineux qui, à l’époque, se révèle être un frein apportant puisqu’on stockait difficilement des volumes importants de données. C’est notamment pour cette raison que cette méthodologie est laissée aux oubliettes pendant quelques décennies. Néanmoins, les [résultats du siècle dernier étaient très prometteurs.]
Depuis 2020, nous avons donc décidé de reprendre cette idée simple, mais avec des technologies modernes. Depuis mon doctorat, revisiter le paysage sonore sous-marin me titille. J’avais à l’époque lu des papiers scientifiques que j’avais trouvé fascinants, sans ne plus jamais trouver le temps et l’argent d’investiguer ces sons aquatiques. J’ai finalement dû attendre d’être en poste dans le laboratoire de Jean Vandemeulebrouck (ISTerre à Grenoble) pour reprendre cette idée avec lui et surtout pour lever des financements.
Un volcan en surchauffe ?
C’est ainsi que j’ai « découvert » le volcan Poás et son lac en 2010. Après une multitude de tests dans différents environnements volcaniques relativement calmes, nous sommes parvenus à envoyer un hydrophone au Poás qui est connu pour son activité hydrothermale véhémente.
En mars et juin 2023, le volcan nous a gratifiés de magnifiques signaux grâce à nos collègues costaricains, en charge également de la surveillance, qui ont accepté de descendre au plus proche du lac hyper-acide (pH~0) et d’immerger notre instrument.
Ces signaux ne semblent cependant pas associés à des éruptions phréatiques et l’opportunité de les comparer avec les données d’une vingtaine de scientifiques acquérant simultanément des données complémentaires était à saisir.
Mais depuis juillet 2023, l’activité volcanique s’est considérablement accrue, au point d’amener tellement de chaleur vers la surface, que le lac de plusieurs centaines de mètres de rayon s’est presque complètement volatilisé en quelques mois. Il est ainsi devenu bien trop dangereux d’envisager de redescendre dans le cratère.
Un instrument sans intérêt ?
Nous voilà donc à la veille d’une manip’ des plus prometteuses avec plus d’une vingtaine de collègues renommés. Problème de taille, notre hydrophone ne présente donc plus le moindre intérêt. Javier Pacheco, sismologue émérite en charge de la surveillance du volcan depuis des décennies, qui m’avait informé de cette déconvenue, me demande si je n’ai pas par hasard des capteurs infrasons.
Ces instruments sont eux sensibles aux variations de pression atmosphérique imperceptibles pour les humains, mais aisément détectés par les baleines ou les éléphants.
Cette méthode est utilisée avec beaucoup de succès pour surveiller les volcans produisant des éruptions magmatiques. La question est donc de savoir si cette technologie pourrait rendre service pour surveiller les éruptions phréatiques.
Coup de chance, un collègue de l’Université de Liverpool, Silvio De Angelis, m’a justement prêté ces instruments dans le cadre d’une expérience en Islande et ceux-ci sont encore à l’ULB. Silvio est d’emblée partant et trouve l’idée très intéressante. Avec mon postdoc, Ben Roche, nous décidons donc d’acheminer ces instruments vers l’Amérique latine afin de voir s’ils peuvent se révéler utiles. Ben restera sur place plus longtemps afin de s’assurer que tout fonctionne bien. Les collègues sismologues costaricains sont ravis et les organisateurs américains acceptent avec beaucoup d’enthousiasme. L’optimisme est de retour et ces instruments ont fait leurs preuves pour surveiller les systèmes magmatiques.
Nous voici donc, un dimanche après-midi de février dans une magnifique lodge située au pied du volcan et nimbée d’une atmosphère luxuriante.
Premières blagues de rigueur des collègues : on est ici pour mesurer des bulles, mais bon, il n’y a plus de lac. Ils nous encouragent quand même et nous demandent d’évoquer les infrasons. Les Costaricains, Leonardo van der Laat et Henriette Bakkar, insistent sur l’apport éventuel que ces capteurs apporteraient : il est actuellement difficile de détecter les éruptions ; ce qui présente par ailleurs un danger pour l’équipe de joyeux scientifiques qui se déploiera une multitude de méthodologies sur le volcan au cours des prochains jours. On signe au passage une décharge en cas d’éruptions…
J’explique qu’on espère quand même être utiles et enregistrer modestement quelque chose d’intéressant, aux côtés de mesures de pointe effectuées par des drones de la dernière génération ou d’instruments pionniers utilisant la flotte de Starlink.
Dans un froid glacial et une absolue invisibilité due à un temps pour le moins maussade, nous tentons les premiers jours d’installer nos trois instruments sur les bords du cratère afin de voir ce qu’ils ont dans le ventre. Le temps est particulièrement peu clément et les tempêtes ont fait chavirer de nombreux arbres coupant les routes d’accès vers le sommet.
On a davantage l’impression d’être dans une forêt tropicale que sur un volcan. Seules les alarmes de taux de dioxyde de soufre dangereux qui résonnent ponctuellement nous rappellent que nous installons nos instruments sur un dangereux volcan.
Les radios résonnent régulièrement pour vérifier que tout va bien et qu’une éruption silencieuse, qui pourrait projeter des bombes volcaniques et/ou des gaz toxiques, n’a pas affecté une des équipes. Bien qu’elles demeurent moins violentes que les magmatiques, les éruptions phréatiques peuvent malgré tout projeter des projectiles à distance respectable des cratères, ce qui explique le nombre important de victimes récentes.
Le soir, les discussions sont animées. Entre problèmes de connexions à la flotte Starlink, soucis de connexion aux sondes de pesanteur pour les gravimétristes qui envisagent d’envoyer un instrument venant d’Écosse en urgence, de bonnes nouvelles tombent.
Les nombreux instruments déployés en octobre par les organisateurs américains semblent avoir enregistré correctement les prémices de cette nouvelle séquence éruptive. Nous ne sommes pas venus pour rien. Près de 10 ans que je travaille sur les données de ce volcan et les discussions après les journées de travail sont particulièrement fructueuses. De la biologie à la chimie des aérosols, nous décrivons nos avancées de la journée et le travail avec les collègues responsables de la surveillance nous permet d’avancer sur des recherches entamées depuis de nombreuses années. Et de nouvelles données acoustiques recueillies par nos capteurs infrasons pourraient servir nos collègues, ce qui finalement est le plus important.
Nous pouvons détecter des éruptions invisibles
Après plus de deux semaines en Amérique Centrale, je dois reprendre mes enseignements et laisse mon postdoc en charge du projet, bien secondé par mes collègues qui, en moins de 24h, ont construit un système de surveillance et de suppression des perturbations non volcaniques. Des tubes en PVC permettent en effet de filtrer les bruits provoqués par le vent et de mieux isoler les perturbations volcaniques.
Je quitte bien entendu toute l’équipe du workshop à regret, mais confiant que tout va parfaitement se dérouler vu l’expertise des collègues locaux, secondé par Ben, et le soutien indéfectible de Terry, Conor et Maarten, les organisateurs du workshop.
Les nouvelles sont nombreuses et grâce à WhatsApp, je suis au courant en temps quasi réel du succès de l’installation et des premiers résultats prometteurs. Après quatre jours, le système est opérationnel et installé à distance respectable des régulières éruptions phréatiques.
Quelques jours plus tard, les premiers résultats me sont partagés et sont au-delà de toute espérance. Les signaux sont non seulement d’excellente qualité, mais aussi riches en information.
En effet, des éruptions absolument invisibles sismiquement, sont systématiquement détectées par les capteurs infrasons. D’une pierre deux coups : le système est utile pour la surveillance puisque les données sont transmises en temps réel et vont nous permettre de faire de la recherche.
Des questions de recherche émergent rapidement… Pourquoi le volcan cesse-t-il d’émettre des vibrations sismiques en l’absence d’eau ? Quelle est la relation avec son contenu fréquentiel ? Pourquoi est-il aussi dynamique ?
Mais c’est avant tout un formidable outil de surveillance. Après une augmentation de l’activité début mars, mes collègues ne détectent plus les éruptions qu’avec cet outil ! Même en vacances, ils peuvent se fier intégralement aux capacités de détection de ce nouveau système via leur smartphone. Comme quoi, en l’absence de vibrations hydroacoustiques, ces ondes de pression infrasoniques nous en auront appris énormément sur ce système volcanique fascinant.
Corentin Caudron, Volcanologue, Université Libre de Bruxelles (ULB)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.