La question de l’aidance est une préoccupation de santé publique dont les enjeux se situent tant au niveau scientifique que sociétal et politique. Selon les chiffres de la Drees (publiés en 2023 pour l’année 2021), 9,3 millions de Français pourraient être considérés comme des aidants.
Bien que l’aide apportée soit difficilement quantifiable, une enquête suggère quelle serait supérieure à vingt heures par semaine pour un aidant sur six. La Drees indique par ailleurs que les aides les plus fréquemment rapportées sont celles directement apportées à la personne, notamment le soutien moral, l’aide dans l’organisation de la vie quotidienne et le soutien financier.
Une aide informelle pour les soins physiques et médicaux
De façon moins visible mais tout aussi importante, les aidants sont aussi impliqués dans les soins médicaux et physiques, la surveillance de leur proche et la coordination des aides extérieures. Cette dernière est souvent difficile et chronophage du fait du temps passé à la recherche des bons interlocuteurs, à la compréhension des démarches à réaliser, à la mobilisation des aides, à la nécessité de médiation entre la personne et les professionnels, et à la gestion plus générale du quotidien.
Ainsi, on comprend bien que le système de santé ne pourrait pas fonctionner sans cette aide « gratuite » et informelle. Cela permet de diminuer le financement de la dépendance et de répondre à la politique actuelle de maintien à domicile et de soins ambulatoires.
D’ailleurs, parmi les motivations des aidants, on estime que 13 % sont liées au besoin de pallier les défauts d’accompagnement du système médical et médico-social, 22 % à l’absence de personnes dans l’entourage pour prendre ce rôle et 48 % à un devoir moral. Ainsi, beaucoup deviennent aidants non par choix mais par obligation.
Outre ces constats, la spécificité de l’aide apportée au long cours va dépendre des difficultés que ces aidants peuvent rencontrer, tant elles nécessitent d’adaptations quotidiennes et une vigilance permanente. Ces dernières engendrent un stress d’intensité variable, le plus souvent de longue durée, avec des effets sur leur propre état de santé physique, mentale et sociale qui peuvent conduire à un épuisement. De telles répercussions génèrent des besoins urgents et importants en termes de repérage, d’accompagnement voire de prise en soin des aidants.
Difficultés des aidants : étymologie des termes
Le terme de fardeau est le plus souvent utilisé pour désigner et mesurer les difficultés et souffrances des aidants. Mais on retrouve aussi les termes d’épuisement ou de burn-out, sans qu’une différence claire ne soit posée entre ces concepts. Ce manque de clarté entraîne une confusion qui semble dommageable à une pleine compréhension des enjeux actuels de l’aidance. Nous proposons donc d’ouvrir le débat.
D’un point de vue étymologique, le terme « fardeau » est associé au nom faix (en grec), farda (en arabe) ou fardes (en vieux français) qui signifie « vêtement, drap », et le nom commun féminin « farde » qui veut dire « lourd paquet de marchandises ». Par extension, ce terme a été utilisé dans les mines lorsque les terres et les roches menaçaient d’ébouler. Au sens figuré, le « fardeau » est finalement utilisé pour qualifier les soucis, peines ou douleurs que l’on a à supporter.
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Le terme « épuisement », lui, vient du nom « puits », puteus (en latin), qui signifie « trou profond, fosse » et, en ancien français, « source, fontaine ». Le verbe « épuiser » est le fait de mettre à sec, de vider. Finalement, le nom commun « épuisement », marqué par le suffixe – ment, qui vient du latin mentum (moyens/résultats de l’action), désigne à la fois l’action de mettre à sec à force de puiser, et l’état de quelqu’un dont les réserves ont été consommées, toutes ou en partie.
Doit-on parler de fardeau ou de burn-out ?
D’un point de vue conceptuel, on distingue différents types de fardeaux. Le fardeau objectif fait référence à la charge objective que représente le rôle d’aidant et le temps passé à l’aide apportée au quotidien. Le fardeau social des maladies en santé publique est aussi évoqué pour quantifier les coûts sociaux qui y sont associés. Ainsi, le fardeau a également une dimension normative et sociale qui pèse sur la société et les personnes concernées.
À ces deux dimensions, est associée une dimension subjective relative à la perception que l’aidant a de sa propre situation. Le fardeau subjectif peut être d’ordre psychologique, physique, social, spirituel, ou encore financier. Ainsi, le concept de fardeau est à la fois multidimensionnel, global et spécifique, le fardeau étant associé à l’expérience unique et propre à chaque individu.
Le concept de burn-out est davantage utilisé dans le domaine professionnel et du care. Il est souvent associé à un sentiment de dépassement des ressources, le fait d’être au « bout du rouleau », avec une rigidification voire une réification de la personne aidée et une perte d’intérêt et de capacité à être ou rester positif.
Depuis quelques années, ce cadre conceptuel est transposé au contexte de l’aidance à partir des trois dimensions qui le constituent : l’épuisement émotionnel par le sentiment de surcharge, d’incapacité à continuer et d’être drainé émotionnellement, la dépersonnalisation qui se traduit par des réponses et comportements détachés, et la réduction de l’accomplissement personnel associée à la difficulté à continuer à trouver du sens à son rôle d’aidant.
Un continuum pouvant aller jusqu’à la dépression
Bien qu’il existe une forte association entre les mesures de fardeau subjectif et de burn-out chez les aidants, ces éléments étymologiques et conceptuels nous amènent à considérer un continuum allant du fardeau au burn-out, et plus encore à la dépression. On considérera donc le fardeau subjectif comme le stress perçu par l’aidant de sa situation, le burn-out comme la répercussion associée à l’aidance si ce stress se maintient sans rééquilibrage, et la dépression comme la conséquence de santé mentale d’un état de burn-out prolongé ou particulièrement important.
Les outils d’évaluation de ces concepts sont basés sur des questions que l’on peut situer sur ce même continuum. Dans l’échelle de fardeau subjectif, il est par exemple demandé :
« À quelle fréquence il arrive de sentir que le proche demande plus d’aide qu’il n’en a besoin ? de se sentir tiraillé entre les soins du proche et les autres responsabilités familiales ou professionnelles ? ou de se sentir tendu quand on est avec son proche ? »
Ces éléments reflètent la manière dont la personne aidante perçoit sa situation.
L’adaptation de l’échelle de burn-out est davantage centrée sur des problématiques psychologiques plus spécifiques avec des propositions comme :
« Je me sens émotionnellement vidé par l’aide que je fournis à mon proche ; je sens que je craque à cause de l’aide que je fournis à mon proche. »
Et à un niveau d’intensité plus importante encore, dans le cadre d’un trouble dépressif, il est question de perte de plaisir, de perte d’énergie ou de perte d’intérêt pour tout ou partie des activités de la personne.
Repérer assez tôt ces situations critiques
Dans la pratique, ces outils constituent une base d’échanges pour aborder les problématiques qui pèsent plus ou moins sur les aidants. Ils permettent d’avoir une approche graduelle avec des interventions qui peuvent et doivent être conçues à différents niveaux (prévention, repérage, accompagnement psychosocial, prise en charge psychologique…), et ainsi, par des professionnels différents.
Au regard de ces enjeux, il semble capital de clarifier ce qui est ciblé en recherche comme dans la prise en charge. Considérer le fardeau subjectif revient à se focaliser sur la perception qu’un aidant a de sa situation, influencée à la fois par les difficultés objectives auquel il fait face et par des enjeux individuels et de personnalité.
Se focaliser sur l’épuisement revient à considérer que la prise en soin intervient à un niveau plus tardif, une dynamique étant déjà enclenchée et reflétant un processus progressif d’érosion des ressources individuelles.
Enfin, prendre comme cible la santé mentale, comme la dépression, revient à un repérage tardif, les ressources individuelles étant bien souvent déjà épuisées. Bien que nécessaire, se focaliser sur les troubles de santé mentale des aidants reste symptomatique d’un échec de la prévention dans le soutien à ces personnes clés dans le système.
Les difficultés des aidants ne relèvent pas toutes du même type de problématiques et ne nécessitent pas le même type d’accompagnement. Le repérage des besoins et difficultés éventuelles requiert la mobilisation et la sensibilisation de tous les professionnels. L’aidance est donc l’affaire de tous.
Valerie Bergua, Enseignant chercheur, Université de Bordeaux; Michèle Koleck, Enseignant chercheur, Université de Bordeaux, and Pierre Gérain, Chercheur en psychologie de la santé, Université Libre de Bruxelles (ULB)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.