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Capturer l’eau des nuages pour lutter contre la pénurie d’eau dans les déserts

Publié le 29 novembre 2023 Mis à jour le 30 novembre 2023

Des « filets à brouillard » abordables, efficaces et durables pour capturer les gouttelettes et lutter contre la pénurie d'eau dans les déserts. Un article de Denis Terwagne, professeur et président du Centre de Recherche en Physique, Faculté des Sciences, dans The Conversation.

En 2022, 2,2 milliards de personnes n’ont toujours pas accès à des services d’eau potable. Avec le réchauffement climatique, la rareté de l’eau potable est devenue un défi majeur pour notre avenir, et cette problématique s’intensifie bien sûr en premier lieu dans les régions arides et surpeuplées. Un récent rapport des Nations unies souligne l’importance cruciale d’explorer les sources d’eau « non conventionnelles » telle que l’eau atmosphérique, car les ressources actuelles sont surexploitées et insuffisantes.

Pour trouver des solutions originales, la nature peut être une incroyable source d’inspiration. En effet, au cours de l’évolution, certaines espèces d’arbres et d’insectes ont développé des moyens ingénieux pour capter l’eau qui se trouve dans l’atmosphère sous forme de vapeur ou de brouillard.

Citons par exemple les séquoias géants de Californie, qui captent plus d’un tiers de l’eau qu’ils consomment grâce au brouillard intercepté par leurs aiguilles et égoutté à leur pied. Le Dragonnier de Socotra, lui, capte et ingère l’eau du brouillard directement par ses feuilles en forme de rosette. Certains cactus, mousses et coléoptères du désert jouent sur leur structure, leur géométrie ou l’affinité de leur surface avec l’eau pour favoriser la collecte du brouillard.

Un dragonnier de Socotra.

Des filets pour capturer le brouillard

Face à ces solutions fascinantes, l’homme n’est pas en reste : des filets pour capturer le brouillard sont utilisés depuis le début des années 90 notamment par l’ONG Fog Quest. Nous cherchons à développer des manières frugales de fabriquer des filets qui soient à la fois plus efficaces, plus économes, et plus faciles à fabriquer que ceux qui existent actuellement.

Dans certaines zones désertiques telles qu’au Chili ou au Maroc, les populations font usage de « filets à brouillard » pour capturer les gouttelettes d’eau des « brouillards d’advection » qui se forment et se déplacent au-dessus de certains déserts montagneux proches des côtes océaniques. Poussé par les vents dominants, l’air chaud et humide des océans se condense en petites gouttes d’eau lorsqu’il se refroidit au contact de l’atmosphère plus fraîche de ces régions montagneuses.

Depuis plusieurs décennies, les progrès scientifiques et techniques pour concevoir de grands filets à un coût abordable ont conduit de nombreuses communautés dans le besoin à déployer des filets pour capturer le brouillard transporté par le vent. Ces filets « à nuages » ou « à brouillard » ressemblent à des filets de pêche tendus dans les airs. Pour les meilleurs filets, ils peuvent avoir une efficacité de collecte allant jusqu’à 15 % de la quantité d’eau contenue dans le brouillard. Dépendant du lieu où sont placés ces filets, ils peuvent récolter entre 10 et 100 litres d’eau par mètre carré et par jour.

coléoptère récoltant de l’eau dans le désert

Les Onymacris unguicularis se positionnent sur les crêtes des dunes, lèvent la face dorsale de l’abdomen face au vent et baissent la tête. Dans cette position presque verticale, ils attendent que le brouillard se dépose sur leurs élytres, dont les sillons canalisent les gouttelettes d’eau jusqu’à leur appareil buccal. James Anderson/Flickr, CC BY-NC-SA

Dans les régions en stress hydrique qui sont propices aux brouillards d’advection, le véritable enjeu est de développer de filets à brouillard abordables, efficaces et durables. Les filets peu coûteux, tels que les filets « à patates » (ou raschel mesh) utilisés pour l’emballage alimentaire, sont certes accessibles, mais leur efficacité est limitée et ils ne résistent pas aux vents violents. Les filets plus robustes et performants, comme le filet commercial Aqualonis FogCollector, sont plus difficiles à produire et beaucoup plus coûteux.

Face à ces défis scientifiques et techniques, des chercheurs se mobilisent pour explorer ces solutions passives permettant d’améliorer les filets en travaillant sur leur efficacité, leur aérodynamisme ou encore sur la nature du matériau qui constitue le filet et son affinité avec l’eau. L’aspect « passif » signifie qu’il ne faut pas d’apport d’énergie extérieur (électrique ou d’origine fossile), contrairement à d’autres méthodes pour récolter de l’eau douce, souvent très énergivores comme certaines méthodes de dessalement de l’eau de mer.

Améliorer les filets à nuage en adaptant la géométrie de leurs fibres

Nos récentes recherches ont ainsi abouti à des filets à brouillard en kirigami, conçus par de simples découpage et pliage de feuilles plastique. Ce type de filet est peu coûteux, doté d’une géométrie simple, dont l’efficacité surpasse celle de la plupart des filets existants.

L’origine de cette efficacité vient de la géométrie de la fibre employée. Alors que la plupart des filets à brouillard emploient des fibres cylindriques, nous employons des fibres plates.

La mousse est passée maître dans l’art de collecter l’eau. susannp4/Pixabay, CC BY-NC-SA

Une goutte posée sur une surface va prendre une forme qui équilibre les pressions interne et externe de la goutte, ainsi que le surplus de pression (de Laplace) venant de la courbure de l’interface liquide de la goutte.

La fibre cylindrique présentant une courbure, une goutte ne pourra pas s’étaler, car pour compenser la courbure de la fibre, elle devra garder la forme d’une perle. Grâce à la géométrie plane des fibres employées dans nos filets, les gouttes de brouillards s’étalent complètement, forment rapidement un fin film liquide très stable sur toute la surface du filet, ce qui favorise la collecte d’eau.

Ainsi, nos tests ont démontré que, dans des conditions expérimentales équivalentes, notre filet à brouillard Kirigami avait collecté huit litres par mètre carré en une heure, tandis que les filets en harpe de fibres et en mailles rashel mesh couramment utilisés n’avaient récolté que trois et deux litres par mètre carré respectivement.

Comparé à l’un des meilleurs filets à brouillard du marché (l’Aqualonis FogCollector 3D-2013), notre filet Kirigami affiche une efficacité stationnaire comparable, mais se révèle nettement plus performant sur le plan dynamique, c’est-à-dire lors de brouillards de courte durée ou de faible intensité.

Une approche conçue pour être aisée à mettre à l’échelle dans des conditions frugales

La simplicité et la scalabilité du kirigami en font un candidat prometteur pour des applications à faible coût sur le terrain (il ne s’agit en effet que d’une feuille de plastique percée de découpes). Actuellement, nous testons des prototypes à grande échelle en collaboration avec l’ONG marocaine Dar Si Hmad qui possède le plus grand champ de filets à brouillard au monde, et les premiers résultats sont très encourageants.

En plus de cette nouvelle méthode de fabrication, nous avons aussi développé, en laboratoire, une méthode d’essai précise et bien contrôlée permettant de quantifier l’efficacité de notre filet à brouillard Kirigami et de le comparer à d’autres filets dans les mêmes conditions.

En effet, la mesure de l’efficacité d’un filet à brouillard est souvent subjective et n’est pas encore standardisée.

Notre banc d’essai consiste en une soufflerie produisant un écoulement d’air laminaire dans lequel un brouillard est généré et envoyé à l’aide de transducteurs piézoélectriques. Les échantillons de filets, placés dans l’écoulement sur des balances ultra-précises, nous permettent de mesurer l’efficacité de collecte en temps réel. Nous pouvons ainsi distinguer de manière dynamique les différentes contributions à l’efficacité.

Une recherche sous contraintes créatives pour relever les défis sociétaux

Afin de garantir l’accessibilité et l’évolutivité des solutions développées, nous avons travaillé sous contraintes : dans le contexte de la « science frugale » (science qui vise à concevoir des solutions évolutives et créatives tout en prenant en compte le rapport coût/performance) au sein d’un environnement « fab lab » (un laboratoire de fabrication numérique).

Les fab labs, en favorisant la collaboration interdisciplinaire et le prototypage, jouent un rôle clé dans la création d’innovations pour relever des défis mondiaux, conformément aux objectifs de développement durable des Nations unies.The Conversation

Denis Terwagne, Physicien et expérimentateur de l'interdisciplinaire, Professeur, Université Libre de Bruxelles (ULB)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.