L’atmosphère est en changement perpétuel. Sa composition a régulièrement varié au cours des époques climatiques de notre planète, et notamment les niveaux de concentration en dioxyde de carbone (CO2), paramètre crucial pour déterminer le climat de notre planète.
L’analyse des bulles d’air emprisonnées dans les carottes de glace a permis de reconstituer ces variations au cours des derniers 500 000 ans. C’est ce que montre notre étude publiée dans la revue Nature Geoscience, qui témoigne de « sauts » de CO2 récents, qui correspondent à des augmentations d’environ 10 parties par millions (ppm) en moins d’un siècle des concentrations atmosphériques de CO2.
Ces « sauts », qui correspondent aux variations naturelles de CO2 atmosphérique les plus brutales survenues dans le climat passé, restent toutefois d’amplitude beaucoup plus faible que l’augmentation récente à l’origine du réchauffement climatique.
L’étude montre que ces sauts de CO2 se produisent à des moments où l’inclinaison de l’axe de rotation de la Terre par rapport au plan de son orbite autour du soleil, appelée obliquité, était élevée. Or, la Terre se trouve actuellement dans une période de forte obliquité.
Ce n’est pas tout : ces sauts sont déclenchés par des perturbations de l’AMOC, un courant océanique majeur de l’Atlantique Nord qui joue un rôle crucial dans la régulation du climat, et qui montre actuellement des signes de ralentissement.
Cela pourrait entraîner un saut de CO2 supplémentaire qui viendrait se cumuler aux émissions d’origine humaine.
« Sauts » de CO₂ : de quoi parle-t-on ?
Ces sauts de CO2 atmosphérique correspondent à des augmentations d’environ 10 parties par millions (ppm), en l’espace d’un siècle, des concentrations atmosphériques au cours du dernier demi-million d’années.
Bien que notables, ces augmentations demeurent toutefois, en moyenne, 10 à 20 fois plus faibles que l’augmentation des émissions d’origine humaine. Au cours de la dernière centaine d’années, celle-ci est estimée à 115 ppm, d’une ampleur dix fois plus importante que les sauts de CO2 observés.
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L’analyse de cette carotte de glace, un long tube de glace d’environ 10 cm de diamètre prélevée sur plusieurs kilomètres de profondeur en Antarctique, dont la surface est couverte en quasi-intégralité de glace, a été menée à l’Institut des Geosciences de l’Environnement de Grenoble.
Elle a permis d’identifier sept nouveaux sauts de CO2 au cours de la période allant de 260 000 à 190 000 ans avant notre ère et d’identifier 15 sauts déjà recensés dans des enregistrements précédents.
Surtout, elle a permis de montrer que 18 des 22 sauts de CO2 étudiés se sont produits lorsque l’obliquité de la planète était élevée.
Une coïncidence de deux phénomènes
Les sauts de CO2, des phénomènes abrupts, sont en effet causés par la contingence de deux phénomènes.
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Le déclencheur initial de ces sauts est la perturbation de la circulation océanique atlantique (AMOC, pour Atlantic Meridional Oceanic Circulation), acteur majeur de la régulation du climat terrestre. L’arrêt de l’AMOC entraîne en effet une réorganisation des précipitations et températures à l’échelle du globe.
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Pour autant, cette condition nécessaire n’est pas suffisante : chaque perturbation de l’AMOC n’entraîne pas systématiquement un saut de CO2. C’est là qu’intervient le deuxième paramètre clé dans l’occurrence des sauts de CO2 : l’obliquité de la terre, qui correspond à l’inclinaison de la terre par rapport au soleil lors de sa rotation autour de ce dernier.
Cette obliquité n’est pas constante : elle varie de manière régulière entre environ 22° et 25°, à travers des cycles de 41 000 ans.
Cette variation influence la répartition de l’énergie du soleil à la surface de la Terre, ce qui a des impacts directs sur les climats régionaux et la répartition géographique des environnements terrestres, notamment les types de végétation, qui stockent du carbone. Nos résultats suggèrent que ces changements dans la répartition terrestre de la végétation, en particulier au Moyen-Orient et en Afrique subsaharienne, entraînent la constitution de larges stocks de CO2 dans la biomasse, qui peuvent ensuite être déstockés lors de la perturbation de l’AMOC, provoquant les sauts de CO2.
Saut de CO₂ et changement climatique : une double peine ?
Or, la Terre se trouve actuellement dans une de ces périodes de haute obliquité. En cas de perturbation majeure de la circulation océanique atlantique, notamment un ralentissement de l’AMOC, une quantité de carbone équivalente à quatre années d’émissions anthropiques mondiales (au rythme des émissions moyennes de la période 2010-2019) pourrait ainsi être relarguée en l’espace de quelques dizaines d’années, se superposant ainsi aux émissions anthropiques actuelles.
À l’heure actuelle, il reste de grandes incertitudes sur les modélisations liées à l’AMOC, certaines suggérant qu’il ralentit du fait du changement climatique provoqué par les activités humaines. Dans l’hypothèse d’un effondrement de l’AMOC, un nouveau saut de CO2 pourrait survenir, et ainsi entraîner de nouvelles émissions de CO2 du fait des sources naturelles déstabilisées par l’activité humaine, venant amplifier le changement climatique.
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Etienne Legrain, Chercheur, Université Libre de Bruxelles (ULB) and Emilie Capron, Paléoclimatologue, CNRS, Université Grenoble Alpes (UGA)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.