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Le rat-taupe nu serait-il la clé contre le cancer ?
Une étude publiée dans la revue Nature Communications et dirigée par le Prof. David Vermijlen – Département de Pharmacothérapie et Pharmaceutique, Centre de Recherche en Immunologie de l’ULB –, révèle une nouvelle avancée dans la compréhension du système immunitaire du rat-taupe nu et ouvre des perspectives en immunothérapie cellulaire du cancer.
Lors du développement d’un cancer, le système immunitaire a la capacité d’exercer une activité antitumorale grâce aux cellules natural killer (NK) et aux lymphocytes T. S’il est naturellement rare que le système immunitaire réagisse efficacement à la prolifération des cellules cancéreuses, l’induction d’une réponse immunitaire plus importante et spécifique est devenue un axe thérapeutique essentiel dans la lutte contre les cancers.
Le rat-taupe nu est un petit rongeur d’Afrique de l’Est avec un mode de vie très particulier, presque exclusivement souterrain. Il présente par exemple un système sensoriel extrêmement sensible aux vibrations du sol et, fait plus étrange, ne développe que très peu de cancers (6 cas sur des milliers d’animaux monitorés), alors que, contrairement à l’homme, il est dénué de cellules canoniques NK, capables de tuer des cellules tumorales.
Devant cette dualité, le Prof. David Vermijlen, chercheur au WEL Research Institute, directeur de laboratoire et professeur à la Faculté de Pharmacie, s’est penché, avec Guillem Sanchez Sanchez, sur les spécificités du système immunitaire du rat-taupe nu, en collaboration avec le laboratoire de Vera Gorbunova (Université de Rochester, NY, USA), spécialiste de cet animal fascinant. Les résultats de leur étude viennent d’être publiés dans la revue Nature Communications.
Si certaines propriétés biochimiques, comme la forte production cellulaire d’acide hyaluronique, ont été suggérées pour expliquer la résistance du rat-taupe nu au développement de tumeurs, il a été proposé plus récemment que le système immunitaire de l’animal pourrait également jouer un rôle essentiel. Tout comme l’homme, le rat-taupe nu présente un thymus thoracique : un organe situé dans la partie supérieure du thorax, autour de l’œsophage et entre les poumons. Il est le siège de la formation des lymphocytes T, une population de cellule immunitaire majeure. Toutefois, et cette fois-ci en opposition à l’homme, le rat-taupe nu possède un second thymus, au niveau des cervicales. De plus, aucun de ses deux thymus ne rétrécissent avec l’âge, contrairement à celui des êtres humains. Enfin, ces thymus présentent un biais vers la génération de cellules immunitaires non conventionnelles, les lymphocytes T gammadelta. Il n’en fallait pas plus pour intriguer le Prof. Vermijlen, un spécialiste de ce type de lymphocytes T :
« Les lymphocytes T gammadelta ont un potentiel anticancéreux élevé. Nous nous sommes donc demandé si chez le rat-taupe nu ces cellules pouvaient contribuer à prévenir la formation de tumeurs ».
« Ce projet est le fruit d'un effort coopératif entre des scientifiques de diverses disciplines : immunologie, génomique et biologie du rat-taupe nu. » explique Guillem Sanchez Sanchez, premier auteur de l’étude et doctorant dans le laboratoire du Prof. Vermijlen. L’étude a permis la mise en évidence d’une sous-population spécifique de cellules T gammadelta du rat-taupe nu, appelées Vg4-2/Vd1-4, qui sont préprogrammées pour exercer une activité antitumorale similaire aux cellules NK chez l’homme. Surtout, ces cellules expriment des chaines qui reconnaissent un ligand spécifique, ce qui pourrait permettre de distinguer les cellules tumorales des cellules saines.
Ainsi l’étude de Guillem Sanchez Sanchez et du Prof. Vermijlen propose que la production continue des lymphocytes T gammadelta Vg4-2/Vd1-4 dans le thymus pourrait permettre de contrôler activement la formation des cellules cancéreuses tout au long de la vie du rat-taupe nu.
Une nouvelle perspective thérapeutique pour l’immunothérapie cellulaire du cancer
« Cette découverte ouvre une nouvelle perspective thérapeutique à explorer dans le cadre de l’immunothérapie cellulaire du cancer » commente David Vermijlen. « La reconnaissance potentielle des cellules cancéreuses par le récepteur des lymphocytes T gammadelta du rat-taupe nu pourrait être étudiée dans un modèle animal pour déterminer si une thérapie cellulaire utilisant ce récepteur des lymphocytes T serait efficace ».
La biologie anticancéreuse du rat-taupe nu n’a donc pas fini de nous intriguer.
Ce travail a été rendu possible grâce au soutien du FNRS, de TELEVIE, de WELBIO, du programme Actions Blanches et du NIH.