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Au-delà des plans: les inégalités persistantes pour les femmes architectes sur les chantiers
En cette journée des droits de femmes, les chercheuses Christine Schaut et Ludivine Damay nous présentent leur recherche « Men only : les femmes architectes et le chantier » qui aborde les stratégies mises en place par les femmes pour asseoir leur autorité sur les chantiers.
Les métiers de l'architecture, souvent perçus comme des domaines masculins, connaissent une évolution notamment avec la montée en puissance des étudiantes dans les écoles d'architecture. Pourtant, derrière la féminisation des études se cachent des inégalités persistantes dans ces métiers, en particulier sur les chantiers.
À partir d’entretiens réalisés par elles et par leurs étudiant·es, Christine Schaut et Ludivine Damay - Faculté d'Architecture La Cambre Horta - partent du constat que les femmes rencontrent des difficultés à évoluer dans le métier d’architecte. Elles remarquent un paradoxe de genre très présent dans l’architecture : « les étudiantes sont plus nombreuses que les étudiants dans les études d'architecture. On parle de féminisation des études, mais aussi de féminisation des métiers de l'architecture parce qu'il y a de plus en plus de femmes qui deviennent architectes. Mais malgré tout, il y a des inégalités structurelles qui demeurent dans le champ de l'architecture. Et ces inégalités structurelles se remarquent quand les étudiant·es doivent passer par un stage à l'Ordre des Architectes. Là on voit que les filles sont surreprésentées comme stagiaires. Et malgré tout, on voit que demeure cette inégalité par la suite parce qu'elles ne sont finalement que 35 % environ à pouvoir signer les plans d'architecte. On parle évidemment du phénomène de plafond de verre », explique Ludivine Damay.
Certaines disparitions de femmes se font aussi plus tard, lors de la création de la cellule familiale. « On voit que ce sont plus les femmes qui s'arrêtent que les hommes et qui vont vers des emplois dits stables, par exemple l'administration. (…) Les hommes sont plus présents quantitativement et ils occupent encore majoritairement des fonctions de coordination », complète Christine Schaut.
Le chantier, scène masculine
Sur base d’entretiens et sur base des statistiques de l’emploi dans le secteur de la construction, elles ont tenté d’objectiver la situation des femmes au sein du chantier comme travailleuses, pour montrer qu’il y a très peu de femmes sur le chantier. Dans le secteur de la construction, 87% des femmes travaillent dans le secteur administratif et 4% dans les travaux de finition, par exemple la peinture. Pour Ludivine Damay, les chantiers sont « une scène qui demeure très masculine. Et donc, quand une femme arrive sur la scène du chantier, elle est plutôt incongrue, qu'elle soit architecte ou qu'elle soit d'ailleurs travailleuse du secteur de la construction ».
Pour ces femmes architectes, l'arrivée sur le chantier est un moment crucial. « Elles doivent faire face à des problèmes de reconnaissance de leur métier. Elles sont déniées dans leurs capacités et leurs compétences, puisqu'en fait on ne leur adresse pas la parole, on les prend pour la secrétaire ou pour un sbire. Elles doivent faire face à des enjeux, des critiques sur leur aspect vestimentaire, ou des blagues », complète-t-elle.
Jeux de pouvoir sur les chantiers : développement de stratégies
Sur la scène du chantier, les rapports de forces s’opèrent entre acteurs du chantier et architectes tout genre confondu. « Ça dépasse la question du genre, il est aussi question énormément de rapports de pouvoir », constate Christine Schaut. Dans le cadre de cette recherche, certaines intervenantes expliquent mettre en place des stratégies pour prendre place dans ce milieu. « Il y a toutes des stratégies sur la place du vêtement. Donc elles expliquent par exemple, penser le matin à s'habiller d'une certaine façon et à proscrire tout ce qui est jupe, décolleté, robe, même maquillage et talons si elles vont sur chantier », expose Ludivine Damay. « D'autres au contraire vont jouer la féminité pour développer une certaine forme de regard paternaliste. Et puis d'autres au contraire veulent jouer absolument la carte de la compétence, donc en montrant qu'elles sont compétentes en ne rentrant pas dans un jeu lié au genre, à la féminité », complète sa collègue Christine Schaut.
Reste à savoir si ces stratégies sont efficaces. C’est la question que posent les chercheuses en conclusion de leur article. À l’avenir, elles aimeraient réaliser des observations de terrain sur ce sujet. Ce texte a été publié dans l’ouvrage « Dynamiques de genre : La place des femmes en architecture, urbanisme et paysage » paru en janvier 2024.
Dans le cadre de la journée des droits des femmes, découvrez plusieurs recherches en cours sur ces questions.