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Rotifères : comment expliquer la résistance exceptionnelle de ces microorganismes ?

Publié le 23 novembre 2023 Mis à jour le 29 novembre 2023

Les rotifères bdélloïdes, ces mystérieux microorganismes, présentent une remarquable résistance à la dessiccation, aux radiations ionisantes et même à la congélation. Sous la direction de Karine Van Doninck - Faculté des Sciences, une équipe de chercheurs se penche sur la base moléculaire de cette résistance exceptionnelle, faisant des rotifères des animaux-modèles pour la recherche.

Les rotifères bdélloïdes constituent une véritable énigme pour les biologistes, que Karine Van Doninck s'efforce d'élucider dans le cadre de son projet "ERC-Consolidator" du Conseil européen de la recherche. Ces microorganismes, les plus petits du monde, existent depuis 10 millions d'années et sont par ailleurs exclusivement représentées par des femelles.

L'équipe de Karine Van Doninck - unité de recherche en biologie moléculaire et évolution, Faculté des Sciences - avait révélé que 8 à 9% des gènes de ces animaux proviennent d'autres organismes, en séquençant les premiers génomes de ces rotifères. Les rotifères semblent donc intégrer des gènes de leur environnement, qui pourraient aider dans leur évolution et adaptation tout en se reproduisant par clonage (aucun mâle n’a été détecté). Mais est-ce le cas ? Quels sont ces acteurs moléculaires qui permettent aux rotifères de résister à la dessiccation, à des doses élevées de radiations ionisantes et peuvent même être congelé à des températures aussi basses que -80 degrés Celsius.

Emilien Nicolas de l'équipe de Karine Van Doninck, en collaboration avec Bernard Hallet de l'UCLouvain et d’autres chercheurs, a récemment réalisé une avancée significative en trouvant une protéine impliquée dans cette résistance exceptionnelle du rotifère bdelloïde Adineta vaga. Leur découverte a été publiée dans la revue Nature Communications le 22 novembre et fait partie d’un brevet européen.

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Les chercheurs ont soumis le rotifère-modèle à des radiations ionisantes et ont observé une forte surexpression d'un ADN ligase spécifique. Les ADN ligases jouent un rôle crucial dans la réparation de l'ADN chez tous les organismes vivants en liant deux fragments d'ADN. Cependant, l'ADN ligase fortement exprimé chez le rotifère est différent de ceux habituellement impliqués dans la réparation de l'ADN chez les animaux. Les chercheurs ont découvert qu'il est homologue aux ADN ligases E des bactéries.

Karine Van Doninck souligne : "C'est étonnant. Cela suggère que les rotifères bdelloïdes ont acquis horizontalement un gène typiquement bactérien qui semble essentiel dans leur résistance exceptionnelle. Emilien Nicolas a trouvé un exemple similaire chez le champignon Mortierella verticillata, également résistant aux radiations ionisantes, qui possède également une copie de cet ADN ligase E homologue, fortement surexprimé après une exposition aux rayons X. Deux eucaryotes très éloignés semblent ainsi utiliser un mécanisme similaire pour résister aux radiations ionisantes, illustrant un bel exemple de convergence évolutive."

Jusqu'à présent, le transfert horizontal de gènes était principalement associé à l'évolution et à l'adaptation des bactéries. Cette nouvelle étude met en lumière le potentiel des transferts horizontaux de gènes chez les animaux et champignons et leur contribution à l'adaptation à des conditions extrêmes.La recherche ne s'arrête pas là. Les chercheurs ont également démontré que la ligase E du rotifère contribue de manière significative à l'activité de ligature des cassures de l'ADN in vitro, une étape commune à toutes les voies importantes de réparation de l'ADN. Cette ligature est plus efficace en présence de cet ADN ligase E qu'en présence des autres ligases que l'on trouve chez les rotifères et autres animaux.

Karine Van Doninck explique : "De manière cohérente, l'expression hétérologue de cette ligase E du rotifère dans des lignées cellulaires humaines a considérablement amélioré leur résistance aux radiations. Ce résultat est novateur et prometteur, d'ailleurs, nous avons breveté la Ligase E d'Adineta vaga. Notre recherche met en évidence l'importance de l'étude des rotifères bdelloïdes en tant qu'ingénieurs naturels, qui servent de modèles pour identifier les acteurs moléculaires impliqués dans la résistance à la dessiccation, à la congélation et aux radiations. Cela ouvre également la voie à de nouvelles applications médicales, ainsi qu'à des applications dans l'exploration spatiale et à l'amélioration de la radiorésistance."
 

@Emilien Nicolas



@Marc Guérineau